7. interrŏgātĭo

11 2 0
                                    

 Elle s'était goinfrée au déjeuner. Laureline luttait pour ne pas s'endormir, et s'efforça à rester concentrée sur les mots qu'elle tentait vainement de comprendre.

L'Indomptable lui avait laissé l'après-midi de libre, un geste de clémence – si on peut dire ça comme ça – qui l'avait bien étonnée en premier lieu. L'humaine n'allait pas en profiter pour paresser : après avoir avalé une part de tarte à la pomme, elle avait demandé à sortir de table précipitamment, s'était grandement excusée puis avait couru jusqu'à la bibliothèque. Monsieur Lyraispaix lui avait donné l'autorisation d'y aller quand elle le souhaitait, alors qu'un silence les écrasait pendant l'heure du repas.

Cette matinée l'avait épuisée. Tous ses membres lui étaient devenus lourds et endoloris, pourtant, Laureline ne disait rien, ne grimaçait pas. Elle avait à peine eu le temps de se changer avant d'aller manger, mais elle sentait encore la mauvaise odeur âcre de la transpiration lui brûler les narines. L'humaine rêvait d'un bon bain chaud... mais elle n'avait pas le temps pour ça ! Elle se donna quelques tapes sur les joues pour retrouver ses esprits, puis replongea dans le bouquin qu'elle essayait de lire depuis tout à l'heure. Elle laissa échapper un bâillement, un rideau de larmes exténuées brouilla sa vision. Qu'elle avait envie de faire la sieste, d'un coup...

Non, Laureline ! Elle se redressa brusquement alors qu'elle était affalée sur la table, le livre grand ouvert, elle se releva si violemment que son dos en craqua – ce qui lui fit arracher un petit cri étouffé de douleur et de surprise. Elle se massa la zone douloureuse en grognant, les yeux rivés sur cet amas de pages jaunies, perdus dans ce chaos de mots et d'encre. Elle soupira avant de s'essuyer les yeux, puis se remit à lire. En plus de la fatigue – et de son envie insoutenable de faire la sieste –, les événements de ce matin la hantaient. L'humaine n'arrivait pas à oublier ce que lui avait dit l'Indomptable. Dans un sens, elle prenait cela pour une des plus grandes humiliations qu'elle avait connue, et ça lui restait dans la gorge.

Il ne faut pas que je sois humaine, en combat, voilà ce qu'elle se répétait indéfiniment, depuis tout à l'heure. Mais comment faire ? Laureline était née sans corne et sans pouvoir, elle ne pouvait pas se métamorphoser en Horribilis d'un claquement de doigts, en priant tous les soirs très fort. C'était insensé et ridicule. Pas besoin d'être un génie pour comprendre que l'Indomptable allait être impitoyable avec elle pour la pousser jusqu'à sa limite, pour qu'elle se surpassât enfin. Elle qui pensait avoir un bon niveau en combat, tout de même...

Finalement, elle parvint à repousser ses interrogations et ses doutes, et à enfin se concentrer sur ce qu'elle lisait. Valiroma : du chaos jusqu'à la perfection portait bien son nom, et traitait des siècles, dynasties et ères qu'avait traversés la capitale du pays, entre période de paix et guerres meurtrières. Laureline s'était plus attardée sur le Nouveau Colisée, naturellement, afin d'en connaître davantage sur ce bâtiment antique... mais aussi pour avoir une longueur d'avance sur son professeur, qui lui avait fait comprendre qu'il allait prendre un malin plaisir à lui poser des questions alambiquées pour la tester sur le plan intellectuel.

Le Nouveau Colisée avait été fondé par une très ancienne famille d'Horribiles, encore inconnue à ce jour, à des millénaires de cela – on estimait son âge aux alentours des cinq mille ans. Plusieurs historiens et archéologues des deux espèces supposaient que ses fondateurs venaient d'une tribu nomade d'Horribilis, qui aurait complètement disparu avec le temps, et cette hypothèse était renforcée par la présence de symboles et signes énigmatiques à même la pierre des arches ou des marches de l'amphithéâtre intérieur, que nul savait décrypter et traduire. Le livre cachait des croquis de à quoi ressemblait probablement le Nouveau Colisée à la fin de sa construction, avant que la corrosion fracassât certaines parties, ou que les guerres détruisissent ce témoignage du temps inestimable. Laureline ne fut même pas étonnée de lire que le Nouveau Colisée avait été la victime de plusieurs attaques menées par des groupes ou des mouvements anti-Horribiles, tout au long de l'Histoire.

Laureline et le Nouveau ColiséeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant