22. ensis

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 De l'antichambre, elle entendait la fièvre du public. Les yeux fermés et la tête baissée, Laureline faisait le vide dans son esprit – enfin, elle essayait. La couchette était dure et inconfortable, quand ses paupières se soulevèrent, elle distinguait à peine le parterre carrelé de la pièce : des rayons de lumière traversaient la herse, mais ils n'étaient pas assez puissants pour éclairer l'antichambre.

Elle releva la tête. Morgane était à sa gauche, elle ne disait rien. Monsieur Lyraispaix était resté dans les gradins, avec Julien. En face d'elle, ils étaient là, inébranlables, indifférents aux cris et aux acclamations, attendant juste que grille se levât. Sophie s'admirait dans un miroir de poche, comme si aujourd'hui n'était qu'une journée banale, une journée où elle n'allait pas mettre sa vie en jeu pour la troisième fois depuis le début du tournoi. Guilhem, lui, fixait le vide dans un silence glaçant.

Savoir qu'elle combattait en première angoissait Laureline. Elle aurait voulu se préparer encore un peu mentalement, voir comment les autres allaient se débrouiller... mais l'équipe six était la première à se faire cuisiner, avec la deuxième équipe. Ses entrailles commencèrent à s'enrouler entre eux. Comment réagirait monsieur Lyraispaix, en me voyant comme ça ? se dit-elle alors, les bras autour du ventre, l'humaine tentait vainement de contrôler ses tremblements. Elle était en quart de final. Bien sûr que oui, les choses sérieuses ne faisaient que commencer. Elle avait eu de la chance, face aux autres... mais est-ce que cela serait le cas, cette fois-ci ?

— MESDAMES, MESSIEURS, ACCUEILLEZ DONC NOS PREMIERS COMBATTANTS POUR AUJOURD'HUI ! FAITES DU BRUIT POUR LES ÉQUIPES DEUX ET SIX !

La voix de monsieur Bleuzen lui donna un haut-le-cœur. Mais bordel, ressaisis-toi ! La herse se leva. Laureline se mit sur ses pieds, suivie par sa coéquipière. Les deux équipes se mirent côte-à-côte et rentrèrent dans l'arène en même temps, sans se dire le moindre mot. Les hurlements et les applaudissements résonnèrent tout autour d'elle, Laureline referma ses mains sur ses armes. Elle se mit en face de son adversaire, l'humaine vit la herse s'abattre violemment dans un bruit sourd, soulevant des nuages de poussière. Ils se dévisagèrent pendant de longues secondes, puis, Guilhem dégaina sa rapière.

— Que le meilleur gagne, déclara-t-il d'une voix plate, en faisant un léger hochement de tête.

Le tambour ébranla le Nouveau Colisée. Laureline sortit ses deux lames et fonça sur lui sans crier garde. Dans sa tête, cela était logique de se dire qu'elle avait un avantage technique : elle était armée d'une paire de doubles épées alors que la rapière de son adversaire, dans sa finesse et sa délicatesse, faisait pâle figure. Laureline se retint de sourire, elle donna un violent coup avec sa main droite, au niveau des côtes : Guilhem esquiva aisément, d'un saut en arrière. Un deuxième coup, il bondit sur le côté. Il ne fit que ça alors qu'elle s'acharnait sur lui, pendant des minutes qui parurent interminables, devant un public qui semblait avoir lâché l'affaire pour se concentrer sur le combat des deux Horribiles.

Ce fut un cri de surprise qui arracha Laureline de sa danse monotone et inutile. Elle tourna la tête brutalement la tête, et sentit son cœur se fendre. Sophie s'était métamorphosée en une masse difforme d'écailles vertes et noires, toutes serrées les unes contre les autres, avec une queue de quatre mètres de long, quatre pattes cylindriques sans orteil, et un corps imposant et empotée. Laureline n'arrivait même pas à discerner sa tête tellement l'ensemble semblait confus. Morgane était ridicule, minuscule, à côté. Elle avait beau donner de violents coups avec sa troisième main, rien n'y faisait : Sophie ne bougeait pas d'un cil et, dans un cri rageur et long, riposta en fauchant son ennemie qui se retrouva encastrée dans un mur de l'arène – murs qui étaient bien mal en point, suite à tous les combats qui s'étaient déroulés en leur sein.

Laureline et le Nouveau ColiséeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant