33. victŏr

9 2 0
                                    

 Il posa une immense bourse en cuir aux pieds de son lit. Ce qu'il y avait à l'intérieur semblait peser une tonne.

— Mille cent cinquante pièces d'or, grogna l'Indomptable en fixant la bourse, puis en levant son regard vers son élève. Je parie tout ce que tu veux que ton père n'a même pas cumulé la moitié de cette somme, en plus de trente ans de labeur. Hmm ?

Laureline regarda la bourse d'un air absent, avant de lever les yeux vers son professeur. Elle s'était redressée, assise dans son lit, même si son dos lui faisait un mal de chien. Son professeur avait les bras croisés, l'air toujours aussi froid. Elle réalisait à peine ce qui venait de passer. En fait, elle s'était réveillée il y avait cela à peine quelques heures : elle avait dormi trois jours entiers. On ne lui avait rien dit sur ce qui s'était passé pendant sa somnolence. Ses souvenirs s'arrêtaient à la voix tonitruante du directeur du Nouveau Colisée qui déclarait la victoire de l'équipe six.

— Eh oh, il y a du monde, dedans ? lança monsieur Lyraispaix en se penchant vers elle, ce qui la fit sursauter. M'écoutes-tu ?

— P-pardon, fit-elle. Que disiez-vous, Professeur ?

— Que tu avais fait sacrément sensation, répéta-t-il assez amèrement. Votre combat était tout ce que le public demandait : du sang, de la violence, des situations désespérées et des retournements de situation sortant de nulle part. Tu ne sais pas combien de journalistes je recale, à mon perron ! J'en ai compté dix-sept... tous me demandent la même chose : t'interviewer par rapport à la finale... alors que tu étais encore dans un état instable, hier.

Un silence. Comment réagir à cela ? Ce n'était pas la célébrité et les éloges qu'on pourrait lui faire, à la une des journaux, qui la faisaient fantasmer de toute manière. Laureline sortit son moignon de sous la couverture. Son membre gauche était recouvert de bandages, de l'épaule jusqu'à son poignet fraîchement sectionné. Elle qui avait encore l'impression d'avoir l'intégralité de sa main... une sensation de picotement lui tiraillait l'extrémité de son bras amputé, rejoignant tous les pics de douleur qui avaient traversé son corps, dès son réveil. Un soupir maussade s'échappa de ses lèvres.

Puis, monsieur Lyraispaix s'assit au bord de son lit. Il demanda, malgré tout :

— Puis-je ?

— Oui, oui. Bien sûr.

— J'imagine que tu te demandes si cela valait le coup, vu le prix que tu as dû payer.

— Il fallait que je m'y attende, articula-t-elle sans parvenir à le regarder.

— C'est vrai. J'ignore si tes actions, dans le Nouveau Colisée, relèvent de l'audace, de l'idiotie ou de certaines pensées suicidaires cachées. Et si c'était la troisième option, nous pouvons dire que tu t'en es plutôt bien tirée, vis-à-vis du projet initial.

— Je n'aurais pas dû le quitter des yeux, marmonna l'humaine, en baissant la tête sur son moignon pansé, sentant sa rétine lui brûler de plus en plus.

— Tu as tout à fait raison. Tu as été vraiment irresponsable, sur le coup. Il ne faut jamais quitter son adversaire du regard... cela ne te paraît-il pas évident ? Mais bon, ne fais la tête comme ça, lança-t-il d'une voix légèrement plus tendre. Tu sais, ce Mathieu – désolé si cela te paraît injurieux – n'est qu'un absurde personnage dépourvu de tout signe d'intelligence. S'il avait été ingénieux un instant, il ne t'aurait pas coupé le poignet. Il aurait dû viser ta poitrine : ou le manche aurait rebondi et tu aurais perdu l'équilibre, ou la lame se serait plantée en plein cœur et tu serais morte sur le coup. La victoire lui avait tendu la main, mais il lui a craché dedans.

— J'imagine que vous dites cela pour me rassurer...

Cela eut l'effet inverse. Laureline lutta pour ne pas exploser en sanglot. Elle avait frôlé la mort par sa propre faute. Dans un sens, elle avait eu de la chance de ne finir qu'estropiée... et encore ! Elle avait à présent le corps recouvert de cicatrices, de la tête aux pieds. Et maintenant, que faire ? Avec une main en moins, sa vie – qui n'était déjà pas aisée – allait vite se transformer en cauchemar.

Laureline et le Nouveau ColiséeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant