Laureline et le Nouveau Colisée

15. cornŭa

 Une onde de choc parcourut l'intégralité de son corps, se prolongeant du bout de ses phalanges jusqu'aux orteils : Laureline serra les dents mais ne bougea pas d'un cil. Elle avait paré un violent coup de poing de Morgane en croisant ses doubles lames devant son visage.

L'Horribilis recula, et chargea de nouveau quelques secondes après. L'humaine se défendit une fois, deux fois, trois fois, cela paraissait sans fin mais elle tint. Ce n'était pas un devoir, mais une volonté : de toute façon, son corps pouvait enfin se le permettre.

L'hiver avait passé et le printemps mourait à petit feu, et dans son inévitable chute allait voir le jour cet été tant désiré. Deux semaines les séparaient du solstice d'été, qui en plus de marquer le début de la saison, marquer aussi le début du tournoi de Tandems Mixtes.

Laureline avait depuis passé ses journées à s'entraîner, sans relâche. Son corps musclé ressemblait plus à celui d'une nouvelle recrue dans l'armée que celui d'une jeune femme, et Dieu savait qu'elle était fière de ses bras puissants que les haltères ne parvenaient plus à faire ralentir, et de ses jambes endurcies par ces interminables matinées à courir, encore et encore ! La graisse n'avait pas la place dans cette organisme qu'elle jugeait presque parfait, même si elle mangeait pour cinq. Sa souffrance et sa patience avaient fini par payer.

Ses doigts étaient complètement rétablis, l'humaine s'était empressée de reprendre ses armes en main pour rattraper le temps perdu. Cela avait été difficile et laborieux, tellement que Laureline avait songé à changer de tactique et à manier quelque chose pour se battre, mais l'Indomptable avait catégoriquement refusé.

— Mais pourquoi ? avait-elle lancé, entre l'indignation et la honte. J'aurai plus de chance si je m'arme d'une simple épée, finalement.

— Écoute-moi, avait-il grogné après avoir articulé des mots qu'elle n'avait pas compris. Tu as une bonne coordination, elle n'est pas parfaite mais elle est très satisfaisante. Abandonner l'apprentissage du combat avec des doubles lames serait un véritable gâchis vu ton potentiel, puis une perte de temps considérable car nous devrons revenir au début, tout reprendre à zéro, et je pense que nous avons mieux à faire que cela ! Maintenant, tu m'écoutes, tu reprends ces satanées lames, et tu attaques !

Elle lui avait lancé un regard noir avant d'obéir. Quelques mois plus tard, ces épées étaient comme devenus des prolongations aiguisées et mortelles de ses avant-bras.

Morgane attrapa une lame avec ses dents, Laureline lui asséna un coup de pied dans le ventre pour la faire reculer, tout en tirant vers elle son arme entravée. L'Horribilis fit quelques pas en arrière dans un gémissant douloureux, se arqua en avant en se tenant le ventre, puis secoua violemment la tête : même pas une seconde plus tard, elle plongea de nouveau sur l'humaine. Elle vise mes jambes, se dit alors rapidement Laureline, avant de faire un saut de biche sur le côté puis de frapper son alliée avec le pommeau d'une de ses lames, au plein milieu de la colonne vertébrale. Morgane s'écrasa violemment au sol dans une dernière plainte, comme un ballon crevé.

— Oh, ne fatigue pas mon autre élève comme ça, fit la voix de monsieur Lyraispaix qui s'approchait d'eux, lentement. Quelque chose l'attend, cet après-midi.

— Julien ? lança Laureline en levant un sourcil, en voyant l'Horribilis mâle en présence de son professeur.

— Julien ?! répéta la femelle en levant brutalement la tête.

Elles ne le voyaient pas très souvent, ces temps-ci : étant devenu un rôle majeur dans des Seuls contre Tous qui soulageaient les prisons de tout le pays, Julien passait la majorité de son temps dans l'arène du Nouveau Colisée pour abattre des condamnés à mort. Il avait beau être un Horribilis – et donc avoir une force surhumaine –, personne ne pouvait nier le fait qu'il était rapidement devenu l'ombre de lui-même, à ne plus bouger, à ne plus parler, à s'éclipser la plupart du temps pour se reposer. Le voir à côté de monsieur Lyraispaix, toujours aussi impassible mais pas si fatigué qu'il semblait paraître, fit un choc à l'humaine. Morgane se leva d'un bond et se précipita vers lui, Julien l'attrapa par la taille d'une main et la souleva comme si elle n'était qu'un vulgaire sac à patates, sous l'aisselle.