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Plusieurs mois plus tard.

Hadrien ausculte la patiente. Il lève ensuite les yeux vers moi tandis qu'il ôte son stéthoscope.

Hadrien: Super boulot, Rose. La voie centrale est parfaitement posée.

J'enlève mes gants.

Rose: Merci.

Sohan: Bravo, Rose ! Une réussite pour ton dernier patient ! Ça me fait tout drôle de dire ça, tiens. J'ai horreur des choses qui se terminent. Ça me rend tout triste.

Sohan qui pleure, Sohan qui rit.. ça n'a pas changé au fil des mois.

Rose: Dis-toi que les fins sont aussi des commencements ? On démarre généralement un nouveau livre après avoir fini le précédent. Et même si on a aimé l'histoire du précédent, on se laissera peut-être emporter par celle du suivant ?

Sohan: Tu es si sage, Rose ! J'espère parvenir à autant relativiser quand j'aurai trois de plus comme toi !

Je ris et lui envoie une bourrade affectueuse.

Rose: Et toi, tu es parfois si bête quand tu t'y mets !

Sohan a terminé son stage depuis deux mois déjà. Mais il vient parfois nous rendre visite lorsque ses cours lui laisse le temps. Il a évidemment versé une larme à la fin de son propre stage, avec son expressivité habituelle que quatre mois en Réa n'ont absolument pas gommée.

Sohan: Mais c'est vrai que ça fera bizarre que tu ne sois plus en Réa. Tu ne trouves pas ? Enfin, j'espère que ton nouveau stage en Gynécologie-obstétrique te plaira ! Ce sera fort différent. Donner la vie au lieu d'empêcher la mort !

Je hoche la tête sans rien dire. C'était en effet mon plan final, mais.. Hadrien, qui nous écoutait discuter, nous rappelle à l'ordre.

Hadrien: Allez, l'heure du service est terminée.. C'est Rose qui est de garde ce soir.

Rose, la remplaçante de Sabrina... Ça laisse toujours une drôle d'impression de repenser à cette histoire. Ces six mois en Réa ont été très mouvementés.

Hadrien: Rose, n'oublie pas de reprendre toutes tes affaires dans le bureau des étudiants en passant. Passe me voir dans mon bureau ensuite. J'aurai signé tous tes papiers adéquats.

Rose: D'accord.

Hadrien quitte la chambre, Sohan reste encore un peu.

Sohan: On reste en contact, n'est-ce pas ?

Je lui souris avec tendresse.

Rose: Bien sûr !

Sohan: Vraiment, ça fait super bizarre. Je crois que je vais encore pleurer. Je te fais un câlin pour l'occasion !

Sohan m'étreint comme un ours en peluche.

Rose: Ne m'étouffe quand même pas, sinon ce ne sera pas que la fin de mon stage mais de ma fin tout court !

Il s'écarte de moi incontinent , passe rapidement le dos de sa main sur son œil.

Sohan: Non, non.

Je lève les yeux au ciel tandis qu'il renifle, et lui offre une accolade à mon tour. J'ai beau rester stoîque, je ne suis pas non plus . Je ne sais pas si c'est l'attitude dramatique de de Sohan qui exacerbe mes émotions ou si elles étaient là depuis le départ, prêtes à déborder au moment de raccrocher ma blouse... Mais j'avoue que je n'en mène pas large non plus... La boule qui est montée dans ma gorge semble coincée pour de bon.



Comme il me l'avait demandé, j'ai rejoint Hadrien dans son bureau après avoir vidé mon casier et repris toutes mes affaires dans le mien, non sans un sévère pincement au cœur.

Hadrien: Voilà, tout est en ordre. J'ai signé tout ce qui fallait.

Je me penche en avant sur la chaise pour prendre les papiers qu'il me tend.

Rose: Merci !

Hadrien: Quel est ton bilan personnel de ce stage, alors ?

Rose: C'était... bien.

J'essaie de racler mon esprit à la recherche de plus de qualificatifs, à la recherche d'une façon plus explicite d'exprimer les sentiments qui m'habitent. Mais ma tête reste vide. Seul le blanc s'étend infini... 

C'est terrible parce qu'il va peut-être penser que ça ne m'a pas plu du tout... Et si jamais il se dit que je regrette qu'il ait été mon superviseur... Alors que c'est en réalité tout le contraire ! Le menton posé sur ses mains, Hadrien m'observe en silence.

Au bout d'un moment, tandis que je me creuse les méninges pour étouffer ma réponse, il tourne le visage et regarde par la fenêtre d'un air pensif. Cela me ramène à la toute première fois que je me suis assise ici, dans cette chaise, dans ce bureau le jour où je l'ai rencontré. La question m'échappe avant que je ne puisse la retenir.

Rose: Pourquoi est-ce que tu regardes toujours par cette fenêtre quand tu réfléchis à des choses pas très joyeuses, je pense ?

Il sursaute, comme pris en flagrant délit. Son regard revient vers moi.

Hadrien: hmm, je ne sais pas trop ? je ne le fais pas de façon consciente, je pense ? Mais peut-être est-ce une habitude que j'ai prise quand mes parents sont morts.

Il tourne à nouveau son profil vers le ciel qui se découpe dans le mur.

Hadrien: Après leur décès, je suis venu m'asseoir dans ce bureau et j'ai regardé par cette fenêtre. J'avais l'impression que tout s'était écroulé sur moi, que tout pesait si lourd. j'étouffais et je cherchais de l'air. Là, dehors, il y en avait. je te l'ai déjà dit, respirer me fait toujours du bien.

je serre les doigts sur les papiers que je n'ai pas posés, jusqu'à les chiffonner. Ce sont des papiers importants pour mes études, mais à cet instant, je n'y songe pas.

Rose: Tu pars en Chines, maintenant, c'est ça ?

Hadrien: Oui. Ces six mois ont été mouvementés, tu ne trouves pas ?

C'est ce que je me disais tout à l'heure . Je tente une question, mais même à mes oreilles; elle fait pitié.

Rose: Et il fait beau... en Chine ? Pour le moment je veux dire ?

Hadrien: Ça déoend où. C'est un grand pays.

C'est un grand pays, oui, qui se trouve très loin aussi. Non seulement je ne travaillerai plus chaque jour avec Hadrien; mais en plus, il sera à des milliers de kilomètres de moi..

J'avais beau faire la forte devant Sohan.. je sens que je vais pleurer aussi. Une impulsion irrépressible me saisit alors. Je me lève de ma chaise, les papiers toujours serrés dans mes mains.

Rose; Laisse-moi venir avec toi. Laisse-moi t'accompagner en Chine. Et.... est-ce que tu crois que je peux changer mon stage ? Est-ce que tu crois que je peux faire six mois supplémentaires en Réa ? Je ne sis pas si Hélène me laissera, mais pour la fac, ça ne devrait pas poser de souci. Enfin, je ne me suis pas du tout renseignée encore, mais...

Je n'arrive plus à contenir les mots qui jaillissent comme un geyser en provenance directe de derrière mes côtes. Hadrien semble un peu dépassé par cette déferlante.

Hadrien: Prolonger ici ? Mais ça t'a plu alors ?

Rose; Oh oui !

Je crie à moitié, je dois avoir 'lair exaltée.

Rose: Je ne savais pas... je ne sais toujours pas vraiment comment l'exprimer mais oui, trois fois oui ! Et je voudrais que ça ne soit pas déjà terminé. Je voudrais continuer à travailler avec toi.

La boule dans ma gorge est de retour.

Rose: Je n'ai pas envie de ne plus te voir..

Hadrien: On peut toujours se voir, même sans...

Rose: ... tous les jours.

Hadrien: Oh, mais je croyais...

C'est vrai. Après mon accident, nous sommes sortis quelques fois ensemble. C'était très agréable, et je pensais savoir que je voulais... ça. Et puis, Jason est revenu dans ma vie avec beaucoup de constance. Il a longuement insisté pour que je lui laisse une nouvelle chance, et je n'ai pas su quoi faire, percluse d'indécision et de doutes. Je suis sortie avec Jason quelques fois ensuite, avant de me rendre compte que ça ne marcherait pas. Et depuis, il ne se passe plus rien. Tout est à l'arrêt. Hadrien a géré le tout avec beaucoup de respect, de classe et de gentillesse. Il m'a laissé l'espace dont j'avais besoin quand c'était nécessaire tout en étant toujours présent en toile de fond, attentif, et professionnel en sus au travail, sans jamais me blâmer pour mon indécision ou ma non continuation de notre relation.

Rose: On dit toujours que c'est au moment où on s'apprête à perdre les choses qu'on voit combien on y tient, non ? Ä l'aube de ton absence, à l'orée d'un stage où tu ne seras pas je réalise avec netteté ce que je veux et ce que je ne veux pas. Je veux être avec toi au quotidien et je ne veux pas.... ce qui se profile. Je suis désolée pour mon inconstance de ces trois derniers mois.

Je baisse la tête, mais Hadrien rit simplement.

Hadrien: Je ne peux pas te reprocher ton indécision, étant moi-même un roi de l'incertitude. Pas à ce niveau, mais tu vois ce que je veux dire. Je comprends très bien le processus moral, voire l'auto-sabotage. On a parfois besoin de temps pour faire le tri et savoir ce qu'on veut vraiment. L'important, c'est de finir par trouver.

Il se lève de son fauteuil, fait le tour de son bureau et s'arrête devant ma chaise. Il soulève mon menton d'une main, gentiment.

Hadrien: Je te prends un billet d'avion pour Shanghai et j'appelle Hélène en rentrant chez moi.. 


J"écarquille les yeux.

Rose: Tu veux bien ?

Hadrien: Rose, de mon côté, j'ai trouvé depuis le temps ce que je voulais, c'était justement ça.

D"émotion, je lâche tous mes papiers chiffonnés qui se répandent sur le sol du bureau. Mes mains attrapent ses poignets alors qu'ils relèvent encore mon visage pour m'embrasser.



Une paille entre les dents, les yeux sur l'eau, je ne peux m'empêcher de demander...

Rose: C'est dans ce genre d'endroit que tu voyages habituellement ?

Je ne sais pas pourquoi, cela me semble étrange. De tout ce qu'Hadrien m'a déjà dit sur sa passion des voyages das le passé, de ses envies de se dépayser et de changer d'air, je l'imaginais voyager plus... "authentique" ? Peut-être avec un sac à dos, allant à la rencontre des habitants, s'intéressant plus en profondeur à la culture et aux coutumes locales ? Alors que dans ce genre de restaurant tout sembble si ... occidental ?

Il repousse ses mèches de cheveux chutées par le vent qui vient du fleuve, puis lève son verre de bajiu et le boit cul sec.

Hadrien: Pas vraiment, non.

Je hausse les sourcils.

Hadrien: Mais ça m'a semblé être mieux pour toi, pour commencer ? Histoire de ne pas m'interroger trop brutalement dans un type de tourisme dont tu n'as pas l'habitude ? Tu m'as dit que tu 'navais jamais baroudé en sac à dos. Et tout le monde n'est pas fan.

Rose: C'est vrai, mais justement. Je suis venue ici pour t'accompagner dans ton style de voyage. Donc tu ne dois pas changer tout ton programme pour moi. Je suis touchée que tu prennes tant de précautions à mon égard, mais vraiment ce n'est pas nécessaire.

Hadrien: D'accord. Alors on changera de ville après demain, le temps d'avoir tout de même fait le tour de Shanghai et de ne pas s'épuiser. On ne peut pas ne pas passer par Pékin parce que c'est à voir quand on vient en Chine. Mais entre les deux, je t'emmènerai dans un village plus petit, plus typique.

Je souris.

Rose; Ça me semble un très bon programme !

Hadrien: Ça te plait tout de même, jusqu'à présent ? On est arrivés hier soir, donc tu n'as pas encore vu grand-chose, mais bon...

Je ris franchement.

Rose: Oui parce qu'en vérité, je suis plus venue pour toi que pour le pays, au départ ! Tu m'aurais dit que tu partais en Patagonie ou en Australie, je t'aurais fait la même demande !

Je chipote à nouveau avec ma paille.

Rose; Je crois que le dernier jour de mon stage, j'aurais tout plaqué et je t'aurais suivi jusqu'au bout du monde en une seconde.

Il rit à son tour, et je vois bien qu'il est touché par mes mots.

Hadrien: De mon côté, j'aurais suspendu mes vacances au bout du monde ... si tu me l'avais demandé... je serais resté.

C'est à mon tour de sentir l'émotion m'étreindre. Pour empêcher qu'elle ne me happe de façon trop intense dans ce lieu public, Je retombe à pieds joints sur la conversation en cours.

Rose: Mais oui, ça me plait ici et la nourriture est super bonne !

Hadrien: En tout cas je suis content que tu sois là. Je suis content de t'avoir auprès de moi et content aussi de pouvoir te faire découvrir ce continent que j'aime tout particulièrement.

Ce sont de vrais sourires, plus lumineux que le demi-sourire qu'il arbore d'habitude. Cela devrait être suffisant, mais...

J'hésite..

Il faut pourtant que je pose une question pour lever mon esprit de tout doute.

Rose: Pourquoi est-ce que tu ne m'as pas proposé de t'accompagner avant que je ne le demande, moi ?

Il pose à nouveau une main dans ses cheveux pour ramener une mèche en arrière.

Hadrien: Parce que je voulais te laisser le temps de te décider . Je ne voulais pas te forcer la main tant que tu n'étais pas prête. Je crois que si je t'avais demandé, j'aurais eu l'impression de te pousser à faire ce choix...

Je hoche la tête.


INTENSIVE CARE - HADRIENOù les histoires vivent. Découvrez maintenant