Promesse

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Si je devrais choisir entre la vie que ma société m'impose et la mort, j'aurais choisi  ce dernier, sans hésiter et sans réfléchir à ceux que je laisserais derrière moi.
Je m'en foutrais de mon unique amie de débauche, de celle qui prétend m'aimer et de tous les hypocrites sur cette planète. Je les aurais tous abandonné, de la même manière qu'ils n’hésiteraient pas à le faire si d'aventure je me retrouverais de l'autre côté d'un canon, prête à me faire exploser la gueule. C'est ce qu'ils avaient d'ailleurs tous fait, sans exception. Ils n'ont pas cherché à essayer de me convaincre d'accepter leur aide, ils m'ont laissé seule dans mon combat, seule avec mon envie de ne pas les mêler dans mes problèmes.
Je n'ai jamais pu accorder totalement ma confiance à quelqu'un, par peur de la trahison, de l'abandon et de l'opinion qu'il se ferait de moi, s'il découvrait celle que j'étais réellement, celle qui se cachait derrière toute cette impression de femme forte et courageuse.
Avant Viola, je me retrouvais toujours seule, tôt le matin, avec mes larmes trop longtemps retenues qui émergeaient de mes paupières. Mes cris refoulés se perdaient sous mon oreiller. C’étaient les seules preuves de mon humanité, les seules fois où je ressentais quelques choses autre que la douleur et le dégoût pour ma personne, pour ce qu'ils m'ont fait devenir.
Où sont-ils? Ces gens qui prétendent ne vouloir que mon bien?
Même mon corps m'a lâché, mon meilleur allié depuis toujours, ce traître...
Alors que je maudissais mes proches, une lumière immaculée rayonnait dans les lieux où je me trouvais. Mon corps resplendissait d'une beauté jamais jusqu'ici connue. Il n'y avait aucun bruit, le calme m'invitait à me reposer, juste fermer les yeux faisait naître en moi un bien être incroyable.
J’étais hors de la société haïtienne et ses interdits, loin des regards de jugement et les opinions mal placés des autres. Il n'y avait pas de racisme, ni d’inégalité économique. Il n'y avait ni Maria Delgado, ni Viola, ni Diane. Pas de Gino, pas de prostitués, ni de clients à satisfaire. Rien que le corps étendu et les pensés noires d'une Aline en colère contre le monde entier, meurtrie et perdue dans les méandres du rien.
Maintes fois, elle a souhaité retourner dans le passé, bien avant toute cette merde, exactement à un mois avant sa naissance, là où elle pourrait s’étouffer dans le ventre de sa psychopathe de mère, ou encore à n'importe quel autre moment de son existence, pourvue que sa vie ne soit qu'un vague souvenir chérit par ceux qui ont eu la chance de la connaitre.
En ce moment précis, l’Aline que j’étais devenue ne voulait qu'une chose, c'était de n'avoir jamais vécu.

Cependant j’étais bel et bien vivante... Enfin je crois.
J'essaye de me relever mais peine perdue, mon corps ne répondait pas aux appels de mon cerveau. À plusieurs reprises j'essayais de mouvoir mes pieds, mes bras ou n'importe qu'elle autre partie de mon corps, et c’était dur pour moi de constater que je ne pouvais plus bouger. Les battements de mon cœur se faisaient irrégulier,  je me répétais intérieurement, mieux vaut mourir qu’être dépendante... Quand brusquement, le son d'un tic-tac incessant me mit dans tous mes états.
Je ressentis un poids sur mon estomac, une boule dans la gorge et les contractions de mes poumons qui ne recevaient plus assez d'air. J'entendis la voix de gens qui criait à tout va, des bruits que je n'arrivais pas à distinguer. On m'administrait des décharges qui me faisaient vibrer mais qui atténuaient mes douleurs et puis plus rien. Mes peines avaient disparues et je me suis replongée dans cette immense étendue immaculée.
Je ne parvenais toujours pas à me relever concrètement, cependant je pouvais bouger mes paupières et faire des mouvements discrets avec mes orteils et mes doigts.
Je ne savais pas exactement où je me trouvais mais j'imaginais qu’après les événements d'hier, le seul endroit où je devrais être c’était à l’hôpital.
Mes sens jusque là absent revenaient l'un après l'autre. Je pouvais enfin voir et entendre ce qui se passait autour de moi, par contre, je ne saurais dire s'il faisait jour ou nuit tant cette lueur était éclatante.
Une odeur de jasmin emplissait mes narines et je fermai les yeux pour  en profiter.
Mon cœur battait à vive allure, j’étais prête à me relever, quitter ce lit et de croquer la vie à pleine dent. Oublier ma rancune contre mes proches car ils n’étaient pas coupables de ma surprotection. C'est moi qui ai choisi d'affronter mes ennemis seule en sous estimant l'emprise qu'ils avaient sur moi psychologiquement et physiquement. Viola devrait régler ses propres conflits, je n'allais pas lui priver de sa vengeance pour la mienne.
J'essayais encore une fois de me relever et mon corps a répondu. C’était parce que j'avais intérieurement accepter mes torts. Je jubile et effectue des petits pas mais je ne ressenti rien sous mes pieds. Ce fut comme ci je marchais sur des nuages ou sur de la laine tellement douce que ça donnait l'impression de flotter. Je tournoyais sur moi même, un sourire radieux au visage puis je me laissai tomber sur le sol apparent, des larmes giclaient de mes yeux fermés, je pinçai mes lèvres pour m’éviter de crier.
J’étais seule... trop seule et je pris conscience que ce n’était pas la réalité. Ce n’était que mon esprit qui me jouait des tours. J’étais trop amoché après ce qui s’était passé pour avoir guéri aussi rapidement.
Je replonge sur le seul lit qui se trouvait dans l'espace et me rallonge en fermant mes yeux pour me retrouver en moi même et confronter mes propres pensés.
J'ai longtemps imaginé que j’étais unique, que je n’étais pas comme les autres personnes de mon quartier. Je pensais que ce qui arrivait aux autres ne pouvait jamais m'arriver. Me faire tabasser jusqu’à frôler la mort était ma limite, ce qui ne devrais jamais m'arriver durant toute mon existence. Mais j'avais tout faux. Etre née sur cette terre et y vivre est déjà suffisant pour que tout et n'importe quoi vous arrive, les bonnes comme les mauvaises choses. Dans mon cas ce sont surtout les mauvaises choses qui m'arrivent et font de ma vie un enfer sur terre.
Nous sommes tous et toutes dans le même panier, si un truc peut arriver à mes voisins, je ne vois pas qui je pourrais être pour qu'il ne puisse pas aussi m'arriver.
Dans le chaos, nous sommes tous impliqués, d'une manière ou d'une autre. Soit nous  en sommes les instigateurs, soit les victimes.
Penser à ces trucs me rendaient nerveuse car je voyais que sur ce bout de terre, il n'y a pas de vie pour les habitants comme moi, le petit peuple sans privilège, c'est sans compter sur un gouvernement sans cœur et une élite de riche qui a l'audace d’étaler sa fortune dans notre face.
Je n'aime pas la politique mais j'adore dénoncer les crimes qui se font autour d'elle, l'une des principales raisons pour lesquelles j'avais tellement envie de devenir journaliste.
Présentement, je ne savais pas si j'étais entrain de dormir ou si mes pensés s'étaient éteintes. Après mes profondes réflexions sociales, je ressenties une fatigue latente et plus aucunes pensées ne venaient me troubler. Je retrouvai le silence et je me laissai aller.

Chronique de ViolineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant