Trois mois plus tard.
Olivia, installée dans le pré où broutait Layl, le dos appuyé contre le tronc d'un large chêne, tentait de lire un roman. Trop préoccupée par son état, elle ne parvenait cependant pas à se concentrer sur les pages qu'elle parcourait. Depuis près d'un mois, elle savait qu'elle portait la vie. Son corps l'avait prévenue presque aussitôt, bien qu'elle n'eût alors pas immédiatement compris ce qui lui arrivait. Elle s'était d'abord sentie nauséeuse, faible, puis sa poitrine avait rapidement pris du volume. Quand, dans le mois suivant ces symptômes, elle n'avait pas saigné, la jeune femme avait acquis la certitude qu'elle attendait un enfant.
Narcisse avait accueilli la nouvelle avec toute la pudeur et la froideur qui le caractérisaient. Olivia s'était même demandé un instant s'il n'éprouvait pas quelques remords. En réalité, son mari se trouvait bien plus enthousiaste qu'il ne le laissait paraître. Elle l'avait compris quand, après des semaines à se tenir loin de toute toile ou tout fusain, il s'était brutalement remis à dessiner.
Dès lors, chaque jour, il s'appliquait à croquer la silhouette de son épouse, probablement afin de suivre l'évolution de sa grossesse et d'en conserver une trace, même si, pour l'heure, sa taille demeurait svelte. N'ayant pas souhaité reconstruire son atelier dans les bois, il stockait dorénavant ses tableaux dans ses appartements.
En dehors de ses dessins, cependant, Narcisse ne s'exprimait pas au sujet de leur futur enfant. Il s'inquiétait régulièrement de la santé de sa femme, répondait avec attention à la moindre de ses envies, au point de les anticiper, mais ne se projetait pas avec l'être qui partagerait bientôt leur existence. Olivia décelait une anxiété certaine derrière cette attitude, et elle savait, sans qu'il eût besoin de le lui dire, que cette tension n'était en réalité due qu'à sa crainte de la paternité. Probablement ressassait-il les maints reproches et injures dont la comtesse l'avait abreuvé, peut-être éprouvait-il également de la culpabilité à l'idée d'avoir engendré un monstre, lui qui avait toujours été perçu ainsi par sa mère. Aussi la jeune femme lui offrait-elle l'espace et le temps nécessaires pour s'approprier le rôle qui serait prochainement le sien.
Lasse de relire la même phrase pour la énième fois, Olivia abandonna son roman sur l'herbe grasse et se releva. Elle marcha ensuite en direction de Layl, encore occupé à brouter. Ce dernier, ayant perçu du mouvement, dressa la tête et attendit que sa maîtresse vînt le rejoindre. Quand les doigts d'Olivia trouvèrent son chanfrein d'un noir de jais puis ses naseaux soyeux, l'étalon les renifla avant de frotter le bout de son nez contre la main caressante.
Passer du temps avec son cheval apportait à la cavalière un bonheur incommensurable que seul Layl savait lui procurer. Un sentiment de plénitude et de communion. Ce lien entre l'humain et l'animal qui se passait de mots, mais au sein duquel un seul regard échangé, un seul geste avait plus de sens que n'importe quelle parole.
Olivia resta un long moment auprès du pur-sang, égarée dans ses pensées, jusqu'à ce que sa paix soit troublée par un cri suraigu. Elle se retourna et découvrit Agathe qui venait de refermer la barrière et arrivait vers elle en courant dans un tourbillon de taffetas pourpre. Son chapeau s'envola et atterrit dans le pré sans que la nouvelle venue se préoccupât de le ramasser.
Lorsqu'Agathe ne fut plus qu'à quelques mètres d'Olivia, Layl se mit à renâcler, les oreilles rabattues sur le crâne et les lèvres retroussées, menaçant. Aussi la maîtresse des lieux décida-t-elle de conserver une distance appréciable entre son cheval et l'enthousiasme de son amie, et elle la rejoignit au pas de course. Les joues rouges, la coiffure vacillante, un large sourire plaqué sur sa bouche carmin, Agathe avait tout l'air d'une personne sur le point d'annoncer une grande nouvelle.
VOUS LISEZ
NARCISSE
Historical FictionOlivia, fille adorée du duc de Beauvoir, n'aurait jamais imaginé qu'en acceptant de s'unir au froid et taciturne Narcisse de Vaire, elle épouserait la solitude. Après leurs noces, les semaines s'écoulent, puis les mois, sans que Narcisse ne se décid...