Nous demandons à la population de garder son calme et de suivre les recommandations édictées par les autorités locales. À l'heure actuelle, l'hypothèse la plus solide est que nous assistons à un phénomène astronomique banal. Le Bureau Panterrien de Sécurité réalise en ce moment même, avec l'aide de contractuels privés, des mesures au niveau de la chromosphère solaire. Nous avons bon espoir de comprendre l'origine du phénomène, son fonctionnement et de résoudre le problème dans les plus brefs délais. Par souci de transparence, le Bureau continuera de faire des communiqués réguliers auprès des instances de contrôle de l'ONU et de la population générale. Vous comprendrez néanmoins que le nouveau directeur général, Mikhail Rastamovitch-sen, réduira ses prises de parole publiques au strict minimum. Je peux vous affirmer que Mikhail-sen est au travail, en contact permanent avec les bureaux locaux sur tous les continents, entouré d'un comité exécutif compétent et épaulé par un Conseil de Sécurité volontaire. Je vous promets que nous faisons le maximum pour résoudre cette crise dans les meilleurs délais, afin de permettre à toutes et à tous de reprendre une vie normale. Mais encore une fois, afin de faciliter notre travail, nous demandons à la population de garder son calme...
Conférence de presse de Yun Soe-jan, porte-parole du BPS
Sur leurs écrans respectifs, le délégué général de l'ONU et les vingt membres du Conseil de Sécurité avaient les traits tirés. La représentante indonésienne fit un geste de la main qui s'apparentait à une question, mais celle-ci sembla perdre son sens avant de franchir ses lèvres et elle regarda ses notes d'un air gêné.
Mikhail baissa les yeux vers son écran de travail et passa au point suivant.
« Nous recevons toutes les heures des demandes d'intervention du BPS. Mais même dans la situation actuelle, il n'est pas souhaitable que le Bureau se substitue aux polices nationales pour le maintien de l'ordre. Je vous rappelle que la Convention de Séoul...
— C'est le chaos, glapit le représentant français. Nous avons besoin de vous !
— Non, s'emporta Mikhail. Vos gouvernements se servent du BPS pour justifier leur incurie, et je ne peux pas le permettre. Instaurez des états d'urgence, des couvre-feux, mobilisez vos forces de police, vos gardes nationales, vos armées. Faites ce qu'il faut pour que tout le monde garde son sang-froid, ou en tout cas, pour que les rues soient calmes.
— À quoi servez-vous, Mikhail-sen ? »
L'okrane se leva d'un bond et, comme il parlait justement de sang-froid, perdit le sien. Il se leva d'un bond et hurla en direction du représentant russe :
« Je sers à rallumer ce foutu soleil ! Et si ce n'est pas possible, mon job, ce n'est pas de mettre au frais vos deux points de PIB, c'est de sauver la civilisation de cette planète ! »
Les représentants échangèrent des regards gênés, comme une classe de cancres hésitant à dénoncer celui qui a dessiné au tableau pendant la pause. Mikhail fit quelques pas, leva les bras en signe d'abandon et les laissa retomber bruyamment. Il n'imaginait pas un tel abattement de la part des gouvernements mondiaux. On aurait dit un groupe d'agnelets attaqués par un loup dont le premier réflexe, plutôt que de s'enfuir, est d'appeler leur mère à l'aide en bêlant inutilement.
« Ce qui m'amène à un autre point, lâcha l'okrane le plus puissant du monde, et peut-être, le plus à même de constater son impuissance. Les premiers relevés confirment les informations transmises par la Division 1. L'occultation du soleil est due à une opacification locale de l'espace. Aucune technologie...
— Aucune ? l'interrompit le représentant français. Nous sommes au 24e siècle, Mikhail-sen ! La science...
— Mais qu'est-ce que vous en savez, vous, de la science ? Est-ce que vous savez seulement pourquoi le ciel est bleu ? Vous savez comment marche un réacteur à fusion ? Alors foutez-moi la paix avec la science ! Vous êtes les mêmes qui en 2050, criaient encore que la science allait surgir des buissons et sauver le monde du changement climatique avec ses petits bras musclés. Vous invoquez la science comme d'autres invoquaient autrefois la main de Dieu, pour pallier à votre ignorance. La vérité est dure à entendre : non, notre science n'est pas capable de rallumer le soleil. La Division 1 et tous ses Stratèges alephs, toutes ses super-intelligences, tous les savants okranes de Raven ont déjà renoncé.
— Mais nous sommes la Terre, opposa le délégué général. Nous avons déjà survécu à de nombreuses crises.
— Vous faites un concours d'arguments fallacieux, ma parole. Je vous dis que le Soleil ne réapparaîtra pas. L'heure est donc à décider ce que nous faisons.
— Il faut évacuer la Terre, proposa la représentante indonésienne. J'ai justement un plan qui...
— Impossible, asséna Mikhail. Nous avons les moyens d'évacuer cent mille personnes de cette planète et de les faire survivre en autarcie durant un an, deux ans au maximum. Ça ne servira à rien.
— Il reste peut-être une étoile dans l'Omnimonde.
— Toutes les étoiles observées par la Division 1 se sont éteintes. Mille, deux mille, je n'ai plus le chiffre exact.
— Vous oubliez que la Division 1 n'est plus l'alliée de la Terre, souligna le représentant français. Nos accords ont été rompus. Si des mondes préservés existent, ils pourraient nous cacher leur existence par simple mesure de précaution. Premier arrivé, premier servi. »
Il semblait être particulièrement fier de son analyse, qui partait du principe que les almains réfléchissaient comme des écureuils grincheux et solitaires ; un principe directeur de nombreuses décisions politiques par le passé, qui avaient presque toutes réussi à pousser le monde vers le gouffre.
Mikhail fit non de la tête.
« D'ici moins d'un mois, insista-t-il, la température moyenne à la surface de la Terre sera descendue en dessous de zéro. Il est encore possible de sauver notre civilisation. Nous devons créer des bulles écologiques sous terre, alimentée par l'énergie de réacteurs à fusion nucléaire. Les martiens se sont lancés dans des projets similaires...
— Là encore, vous faites preuve d'une naïveté confondante. Mars n'est plus notre alliée, Mikhail-sen. Qu'on fait leurs vaisseaux après l'occultation ? Que font-ils en ce moment même ?
— Deux convois de transport sont partis en direction de Raven, abonda la représentante du Brésil. Voilà ce que nous devons faire. »
Mikhail chercha le moindre soutien auprès des représentants, mais ils étaient aussi prompts à dénigrer ses propres propositions qu'ils avaient été à le nommer à ce poste.
« Je suppose que je n'ai pas le choix, soupira-t-il. Vous représentez des pays indépendants. Même au titre de l'état d'exception, je n'ai pas les moyens de vous empêcher d'envoyer des sondes et des vaisseaux poursuivre les martiens, si tel est votre bon plaisir. Pour ma part, je vais tenter de sauver ce qui peut l'être.
— Vous devez suivre nos recommandations, protesta le représentant français.
— Relisez l'article 5. Je suis le directeur du BPS. Vous m'avez nommé à ce poste. Je prends en main le destin de la civilisation terrienne, parce que vous en êtes incapables. Cette conversation est terminée. Je vous recontacterai dans quarante-huit heures.
— La volonté du monde est supérieure à votre ego, le menaça le délégué général.
— Le monde ? Il est en train de remplir des placards de légumes secs. »
Mikhail remarqua que quelqu'un frappait à sa porte depuis une minute, et sans plus de considération, mit fin à la communication. Les visages des représentants fondirent sur un arrière-plan beige, sur lequel était dessinée une Terre enveloppée d'un bouclier protecteur.
Même le bouclier Égide serait impuissant à nous sauver, songea le directeur.
Il nous faudrait, à tout le moins, un nouveau Soleil.
« Entrez ! » cria-t-il.
L'agente Ocel ouvrit la porte. Des lumières de l'extérieur, passées au travers du couloir, ondulaient sur sa veste grise.
« Directeur-sen, nous devons partir. »
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Nolim VII : L'Extinction des étoiles
Viễn tưởng== Dernier livre dans la série Nolim == LE DERNIER JOUR EST VENU. Le Second Déluge s'abat sur l'univers et, cette fois, il emportera tous les conscients, tous les empires, tous les mondes. Quand tout aura été consommé, un nouvel univers verra le jou...