J'ai trouvé la recette ultime de yaourt ; malheureusement, elle ne rentre pas dans la marge de ce carnet. Je l'écrirai ailleurs.
Adrian von Zögarn, Notes alchimiques
Quelques heures avant le départ pour Magedôn, Éléana se réveilla avec la sensation désagréable d'avoir oublié quelque chose qu'en s'endormant, elle s'était promis de retenir.
Reida dormait sur le côté, les yeux à demi fermés. Elle essaya de se lever sans un bruit, mais dans l'espace exigu de leur cabine, se cogna le pied contre quelque chose de dur et de métallique. Elle étouffa un juron coloré qui impliquait Kaldor et sa barbe en tire-bouchon et se baissa pour ramasser l'objet.
Ils étaient tous les deux assignés à résidence sur Rems lorsque la nouvelle de la mort de Diel avait traversé l'Omnimonde, suivie de l'extinction des étoiles et de la dissolution de la Conférence. Depuis, Éléana et Reida avaient été transférés sur le Carlsson, l'un des croiseurs de la Division 1, où on semblait les considérer comme de simples passagers. L'amiral Bertram, qui leur courait après quelques semaines plus tôt, ne leur avait accordé aucune attention. Peut-être ignorait-il leur présence à bord.
Avec un regard en coin pour son compagnon, Éléana alluma une lampe de poche et examina ce qui s'était heurté à son petit orteil. Avec ses paupières reptiliennes, il était toujours difficile de dire si Reida dormait ou non, de même qu'il était difficile de dire si les sourcils rouges de l'alchimiste étaient dotés ou non de vie propre. Car chaque être almain, comme chaque royaume, a ses mystères.
C'était un cube de métal.
Elle s'assit en tailleur et le posa entre ses jambes. Un cube tout couvert d'engrenages en laiton, creux et contenant un petit cristal rougeâtre, comme le quartz dans une horloge. Sauf que cet objet, au lieu de compter le temps, manipulait l'espace.
Le concentrateur portatif de la famille von Zögarn.
Diantre, se dit Éléana.
Elle ne savait pas ce qu'il faisait là, ni même d'où il venait. Car le concentrateur avait été envoyé par Lauren, depuis la planète Mars. Mais Lauren avait disparu des pages de l'Histoire, et la planète Mars n'était plus qu'un vague souvenir.
Toutefois, le concentrateur, lui, était bien réel, et elle n'avait pas oublié son usage.
Elle trouva à côté un petit emballage en carton qui protégeait un pot en verre rempli d'une sorte de crème blanchâtre. Un post-it attaché indiquait « Ça se mange », signé L. v. Z. Après avoir tourné le texte dans tous les sens comme on remâche une viande mal cuite, Éléana se concentra sur l'écriture. Elle admira les vides et les pleins, les liés et les déliés, l'épaisseur du trait et, pour la forme, depuis sa cabine en orbite de Raven, réinventa la graphologie. En désespoir de cause, elle renifla le papier, secoua le carton, puis passa au pot en lui-même.
Cela semblait comestible, tout comme le résultat d'un nombre surprenant d'expériences alchimiques.
Éléana plongea son doigt dans le pot et commença à manger en silence, mais non sans apprécier. Si le profane y aurait vu un simple yaourt, ce dernier faisait naître une intuition dans son esprit, que même le concentrateur n'aurait pu lui transmettre, malgré tous ses pouvoirs surnaturels. En somme, ce yaourt lui parlait. Il était la véritable signature de cet envoi. Car la famille von Zögarn est peu avare de passions, mais il en est deux particulières qui transcendent les siècles, et qui dans ce cas précis, traversaient même la barrière de la disparition, enjambaient le fleuve des âmes en jouant à saute-mouton, au nez et à la barbe de Cauchemar.
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Nolim VII : L'Extinction des étoiles
Fantasy== Dernier livre dans la série Nolim == LE DERNIER JOUR EST VENU. Le Second Déluge s'abat sur l'univers et, cette fois, il emportera tous les conscients, tous les empires, tous les mondes. Quand tout aura été consommé, un nouvel univers verra le jou...