16. Coupés du monde

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Lorsque Mikhail reprit connaissance, il crut que l'obscurité l'avait poursuivi hors de son rêve. Il était allongé sur un lit de camp, au fond d'un puits sans limites, dans lequel flottaient quelques lumières. L'une d'entre elles se détacha de son groupe pour se porter vers lui ; elle traînait dans son champ le visage familier d'Ocel, tracé en teintes de gris.

« Ah, vous revoilà, directeur-sen. »

Il sut qu'il devait se souvenir de quelque chose, quelque vérité entraperçue en rêve. Mais le rideau s'était trop vite refermé. Mikhail contempla l'agente Ocel avec un air ahuri, ébloui par les lampes de sa tenue de travail en kevlar.

« L'antimatière... murmura-t-il, en espérant qu'elle comprendrait peut-être ce sésame échappé des songes.

— Qu'est-ce que vous avez dit ?

— Je l'ignore. »

Ocel haussa les épaules et désigna du menton l'océan infini qui s'étendait au-dessus d'eux, d'une uniformité intimidante, sans la moindre lumière, ni le moindre reflet.

« Comme vous pouvez le constater, nous sommes dans le noir.

— Que s'est-il passé ?

— On a fermé les accès. Au vu des secousses ressenties ici, le monastère a été frappé par un ou deux missiles hypercinétiques. Les gars des télécom disent qu'on a gardé le contact avec une antenne, mais ils n'arrivent à se connecter à aucun réseau. Jusqu'à preuve du contraire, nous sommes coupés du monde. »

Les yeux de Mikhail s'habituaient à ce monde contrasté, fait de grands aplats d'encre noir délimités par des constellations dansantes. Chacune de ces étoiles était un agent du B2, à dix mètres ou à l'autre bout de la bulle, occupé à quelque tâche urgente. Ils se déplaçaient en petits groupes, disparaissaient parfois à l'angle d'un bâtiment invisible. Incapable de retracer la topologie exacte de la ville, Mikhail n'y voyait qu'un jeu de lumières scintillantes.

« Où sommes-nous ? »

Ocel tourna sur elle-même en réglant sa lampe directionnelle. Le projecteur prit dans son champ une vingtaine de lits sommaires, d'agents blessés et de médecins prodiguant des soins superficiels. D'autres phares s'allumaient déjà au sommet de bâtiments voisins.

« Les soleils artificiels se sont éteints au moment de la frappe. Indrasena pense que la secousse sismique a déclenché un arrêt de sécurité du réacteur ; elle est allée voir avec un groupe d'ingénieurs. »

Nous sommes coupés du monde, songea Mikhail en levant la tête vers cette voûte incertaine. Non... ceci est notre monde. La Terre n'existe plus.

Une heure, une année, un siècle s'étaient peut-être écoulés, car le Temps de Quatorze n'était pas celui de la surface, ou du moins, pas dans l'esprit de Mikhail. L'okrane imaginait déjà une Terre abandonnée aux vents glacés, des villes fantômes, des stations spatiales à l'abandon.

À partir de maintenant, nous devons faire comme si nous étions les derniers terriens.

Les derniers survivants dans tout l'Omnimonde.

Il regarda à droite, à gauche. Ils étaient pris au piège de ce vivarium, eux, les derniers almains, et les dieux qui avaient programmé la fin des Temps ouvriraient tantôt le couvercle de cette boîte sordide pour venir contempler leur fourmilière insignifiante, avec un sourire.

« Indrasena va rallumer la lumière, annonça Ocel, mais même avec ça, nous avons plusieurs problèmes. Primo, nous n'avons pas le chargement de graines. Nos écologues craignent que ça ne soit pas viable. Ils pensent que nous devons organiser une expédition à la surface pour récupérer des échantillons. Il existe plusieurs tunnels de service que nous n'avons pas encore exploré.

Nolim VII : L'Extinction des étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant