39. La première ligne

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J'entends ta voix, monde.

Je suis arrivé au bout de l'univers, là où le Ciel et la Terre surgissent de chaque bord de l'immensité et ne forment plus qu'un, là où l'âme se dilue dans la lumière des étoiles et où le corps redevient poussière stellaire.

Je suis arrivé au bout du cercle, porté par la fuite du temps.

Livre de l'Éveil


Durant près d'une heure standard, l'ombre s'était avancée en direction de Sol Magedôn, comme un prédateur aveugle guidé par l'odeur, et les Sept Armées de l'Empire avaient reculé de concert. Mais le brouillard s'était arrêté.

Le silence qui régnait dans l'espace n'avait jamais été aussi présent.

Les Gharíen retenaient leur souffle.

Toutes les zones habitables de leurs vaisseaux de guerre étaient des bulles d'eau liquide, car cette eau amortissait les accélérations inhérentes à la conduite d'opérations spatiales. C'est pourquoi Gandar et ses officiers flottaient dans une sphère illuminée de l'intérieur, attachés par des sangles lâches, manipulant des panneaux de contrôle étanches de leurs bras préhensiles. L'eau facilitait aussi l'affichage des hologrammes, plus brillants et plus vivants que sur les vaisseaux de la Division 1.

Et la voix qui, la première, perça ce silence, ne fut pas celle de Gandar ou de Dsa, ni celle de l'amiral Rostov, qui promenait son avatar numérique d'un vaisseau à l'autre en simple observateur. Ce fut une voix lourde comme une montagne en marche, multiple et tumultueuse, la voix du Déluge, la voix du dernier jour et de la dernière nuit victorieuse. Un monstre dont le nom s'inscrivit aussitôt dans leurs esprits, où sa voix résonna longtemps comme un chœur de victoire.

Vos amis.

Vos pères et vos mères.

Vos sœurs et vos frères.

Vos filles et vos fils.

Tous vous attendent sur le fleuve des âmes.

Venez les rejoindre !

Non ! pensa Gandar. Mais un officier gharíen juste à côté de lui, qui n'avait pas refusé avec assez de conviction, se dissolvait en pluie de cendres. Celles-ci flottèrent dans la bulle et Gandar en respira un peu. Car Jormugandr n'était pas ici pour leur proposer une reddition, mais pour les pousser dans le vide.

« Aux armes ! » ordonna le Dauphin.

Une arête d'un millier de kilomètres perça les flots de brouillard, remonta vers eux comme une lame que l'on agite. Mais ce n'était que la crête du serpent. Sa tête, large comme un petit satellite, dispersa de grands nuages d'écume noire. Elle était couverte d'écailles et d'yeux blancs innombrables ; sa bouche s'ouvrit en quatre parties égales, car elle n'admettait ni haut ni bas, comme la maille d'Arcs de l'espace.

La langue fourchue du serpent buta contre un champ défensif déployé par une frégate. Elle se replia, claqua comme un fouet et frappa plusieurs vaisseaux gharíen. Puis Jormugandr émit un cri qui se répercuta dans la superstructure de leurs vaisseaux, jusque dans leur propre squelette.

Vous n'êtes rien, qu'un peu de cendres de Néant, sans aucune logique, et sans aucune valeur.

Je suis venu mettre fin à vos souffrances, par la volonté des dieux.

Des tentacules noirs, tordus comme des cordes d'arc, jaillirent tout autour de la tête monstrueuse du serpent. Gandar afficha une image plus précise sur l'hologramme. Vus de plus près, ces flux se décomposaient en petites billes noires. Des nuées de petits monstres biomécaniques, de démons invoqués par Jormugandr pour les opposer à leur Armada.

Nolim VII : L'Extinction des étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant