43. Le dernier homme

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La bataille touchait à sa fin.

L'armée des démons de Jormugandr donnait des coups sévères sur le bouclier Égide, mais ses quatre mille satellites tenaient bon.

Le serpent s'approcha à son tour de la toile d'Arcs invisible qui protégeait Sol Magedôn, par là l'Orbe plongé en son cœur, et à travers l'Orbe, l'espoir d'une victoire.

Seuls dans leurs vaisseaux détruits, les derniers survivants de l'Armada s'éteignaient l'un après l'autre comme les braises d'un feu mourant. Il était ironique que le destin de l'univers ne dépendît plus d'eux, mais d'un système de défense automatique fait de trois règles élémentaires, encore plus faciles à appliquer que les trois lois de la robotique : tuer, tuer, et tuer encore. Tuer jusqu'au dernier souffle. Jusqu'à la dernière étincelle d'énergie. Jusqu'au dernier joule, jusqu'au dernier électronvolt, tuer ! Car le système Égide était un effrayant travestissement de vie organique. Il ne séparait l'univers qu'en deux ensembles distincts. Lui-même, et le reste des choses, qu'il fallait détruire.

Quelle ironie, songea Crysée. Leur victoire appartient désormais à un démon qu'ils ont eux-mêmes créé.

Guère pressé d'arriver à ses fins, Jormugandr étendit son corps de serpent comme un fouet, et s'enroula autour du soleil. Son trait noir coupait en deux la masse rouge de Sol Magedôn. Ses yeux s'usaient à scruter la surface. Il cherchait pour quelle raison, hormis la puissance du symbole, les almains avaient défendu jusqu'au dernier cette petite boule de feu.

Quel imbécile.

À peine arrivée devant Magedôn, la solaine avait senti la présence de Christophe-Nolim sur cette petite planète. Deux évidences lui étaient apparues. Si cette étoile ne s'était pas éteinte, ce ne pouvait être qu'à cause de lui. Et puisqu'il se trouvait ici, elle pouvait enfin mener son rôle à terme : le tuer, reprendre l'âme d'Aléane complète et la renvoyer dans l'Ouroboros.

Elle traversa l'atmosphère comme une flèche, franchit le mur du son et laissa derrière elle une longue traînée de condensation.

Il régnait sur Magedôn le même calme que dans un magasin d'horlogerie, où chaque instant s'écoule au son de mille aiguilles. Sa biosphère avait atteint un équilibre parfait, jamais interrompu par la chute d'un astéroïde ou le mouvement des plaques continentales ; les arbres sans feuilles, simples troncs noirs plantés tous les dix mètres, la terre rouge chargée de minéraux ferreux, et les montgolfières bleuâtres qui voletaient sous les nuages formaient un système tripartite inchangé depuis des millions d'années.

Prends garde, envoyée des Mille-Noms, car je suis Typhon, le Roi des tempêtes, le troisième seigneur du Déluge !

Un mirage ondoya devant ses yeux, que Crysée écarta d'un geste de la main. Elle atterrit entre les arbres ; la voix grondante continua de retentir quand ses pieds nus se posèrent au sol. La forêt vue du ciel, faite de troncs gigantesques, en cachait une plus modeste, faite de leurs ombres. Celles-ci lui donnaient la direction à suivre.

Mes griffes font mal ! Mes dents piquent ! Mon souffle est, euh, toxique ! Et je pue des pieds !

Guère intéressée par ce programme, Crysée aperçut Christophe, debout sur une colline surplombant la forêt, et traversa l'espace pour se porter jusqu'à lui. Surgissant dans un tourbillon de lumière violacée, elle ouvrit les bras pour saluer le dernier homme.

« Christophe-Nolim, je viens t'apporter une grande nouvelle. »

Il avait quelque chose de changé. L'âme d'Aléane n'était plus dans son cœur, mais diffuse autour de lui, comme une aura protectrice.

Nolim VII : L'Extinction des étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant