Le Réseau Aleph était partie intégrante de l'Armada, et les allers-retours entre le réel et le monde numérique se faisaient de plus en plus fréquents. Sur les vaisseaux de la Division 1, toutes les tâches se partageaient entre almains et alephs incorporels. Ce n'était pas le cas dans les Armées gharíennes ou remsiennes, mais même pour celles-ci, le Réseau facilitait le partage des informations. Et chaque vaisseau avait sa propre flotte de drones-étoiles, pilotés par des alephs, accrochés en amas comme des moules sur un rocher.
« Comment est votre perception, von Zögarn-sen ? »
Éléana regarda sa main, puis elle regarda Tanak. C'était l'élément le plus concret du décor ; elle aurait pu compter les cheveux sur sa tête. Ils étaient debout à la croisée de deux nefs de cathédrale, dont les murs scintillants s'effilochaient dans l'air sans jamais rencontrer de plafond.
« Nous sommes dans un espace de transit du Réseau aleph. Vous avez l'air d'avoir bien supporté la descente dans l'Interface Mentale. Prévenez-moi en cas d'hallucinations.
— Pour le moment, tout va bien. »
Elle se souvint que son corps n'avait pas quitté le Carlsson. Le Réseau aleph n'était pas un monde physique, et pour y faire voyager sa perception, des machines lisaient et manipulaient les potentiels électriques de ses neurones. Mais son impression générale était d'avoir été projetée dans un autre monde, détaché du temps et de l'espace.
« Ce couloir est une porte dérobée dans l'esprit d'Omn, expliqua Tanak. Ce n'est pas l'accès que j'emprunte habituellement. Il me l'a indiqué exprès pour vous, et vous seule irez jusqu'au bout.
— Que vais-je y trouver ?
— Adrian von Zögarn. »
Elle allait protester, mais Tanak fut plus vif.
« L'esprit d'Omn est vaste. Certaines des choses que nous pensons avoir oubliées y sommeillent encore. »
L'homme s'arrêta net et l'invita à poursuivre.
Sous ses pieds naquirent des brins d'herbe aux reflets bleus et mauves. Le ciel s'élargit en nuée d'éclairs lointains, qui perçaient des bouillons nuageux. Un cube uniformément noir y était suspendu, Omn lui-même. Il rayonnait un champ électrique qui firent se dresser ses sourcils, mais se murait dans un étrange silence.
« J'y suis presque ! » s'enflamma un homme couvert d'un tablier, qui faisait les cent pas en piétinant les herbes.
Adrian von Zögarn était tel que se l'imaginait Éléana.
Il était vêtu d'un costume de spectacle à nœud papillon, dont l'une des manches portait des traces de mâchoire de crocodile. Un haut-de-forme un brin prétentieux coiffait son chef et, sous un nez à faire pâlir Cyrano, s'épanouissait une sublime moustache qui, plus que souligner son visage, l'animait.
Par ailleurs, il était occupé à une expérience d'une importance capitale.
Des tables à tréteaux étaient disposées tout autour de lui, couvertes de nappes en papier qui s'envolaient à moitié sous l'effet du vent. Tenant d'une main son chapeau, de l'autre une cuillère en bois, il énumérait les ingrédients de son œuvre grandiose.
« ... les œufs ! Fraîchement pondus. La farine ! Tamisée dans un accélérateur à particules. Le lait ! Puisé dans les sources souterraines de Ferval. Le beurre ! Coupé à l'aide d'un fil. Le sel ! Miné dans un astéroïde de Stella Ciner. Et bien sûr... le fromage ! Chassé dans les forêts pluvieuses de Mondor. Tous les ingrédients sont prêts. Il ne reste plus qu'à transmuter tout cela. »

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Nolim VII : L'Extinction des étoiles
Fantasía== Dernier livre dans la série Nolim == LE DERNIER JOUR EST VENU. Le Second Déluge s'abat sur l'univers et, cette fois, il emportera tous les conscients, tous les empires, tous les mondes. Quand tout aura été consommé, un nouvel univers verra le jou...