Un jour, un client se présenta dans l'atelier du peintre. Le maître étant absent, il fut accueilli par son plus jeune élève, qui lui présenta les dernières toiles de l'atelier. Le client était exigeant. Il ne cessa de faire non de la tête, d'un air vaguement ennuyé, tandis que l'élève lui présentait des natures mortes, des scènes de chasse, des portraits. Ils arrivèrent tout au fond de la galerie, dans le débarras où on entreposait des toiles d'entraînement, non dédiées à la vente. Le client l'ignorait ; ses yeux se posèrent sur un paysage, ses sourcils s'arquèrent et il annonça :
« Celui-ci est un chef-d'œuvre, je vous l'achète. »
L'apprenti inventa un prix ; comme il balbutiait, le client confondit les chiffres et multiplia ce dernier par dix. Les yeux mi-clos, il prépara l'argent de la transaction avec une certaine gêne.
« Cette œuvre du maître surpasse toutes celles que j'ai pu voir jusqu'à présent. Son prix me surprend, j'ai l'impression de le voler. Mais je suppose que nos appréciations sont subjectives. »
L'élève acquiesça silencieusement.
Qu'est-ce qui était le plus important, pour ce client ? Que le tableau fût l'œuvre du maître, ou que cette œuvre fût d'excellente composition, d'éclatantes couleurs, de grande qualité ?
Il en est ainsi de nos lois. Certaines, que l'on prétend l'œuvre des dieux, sont celles des almains. Mais toutes les œuvres de l'atelier sont signées de la main du maître. Ce n'est donc pas la signature au bas de la morale qui importe, mais la morale elle-même.
Parole de l'Oracle
« Bienvenue, Al-Enki. Bienvenue dans mon éternelle demeure. »
L'homme était assis au milieu d'une vaste étendue de sable noir, et de la main, il y traçait sans cesse des symboles pour les effacer aussitôt. Pourtant, il ne pouvait contempler ces dessins. À son regard fixe, Lanthane devina qu'il était aveugle.
« Je suis Lanthane » rétorqua-t-elle.
Il semblait plus jeune qu'elle, et ses cheveux blonds avaient la fraîcheur d'un jeune premier. Mais sa robe, répandue tout autour de lui, éclatait en lambeaux disgracieux, comme une méduse abandonnée sur la plage.
« Salut, Napishtim ! » cria Typhon.
Il s'installa sous une racine, dont l'ombre semblait lui procurer une protection satisfaisante contre les chats invisibles de l'île.
« Bienvenue, ô Typhon. Bienvenue, ô Crysée.
— Je te l'ai ramenée, dit cette dernière. Maintenant, dis-lui ce que tu avais à lui dire.
— Attends, Crysée, ne repars pas. Ma leçon pourra t'intéresser. Venez toutes les deux et asseyez-vous devant moi. »
La femme aux cheveux orange réprima un soupir.
« Tu dois savoir, Al-Enki, que Crysée n'est pas humaine. Mais afin de se faire discrète, pour ses nombreux voyages dans le réel et dans le rêve, elle a adopté la forme que tu vois. En réalité, Crysée est la dernière de la race des solains, un peuple de puissants mages. Quant à Typhon, il n'a pas toujours été ce petit vermisseau. Lors du grand Déluge qui dévasta la terre, il était le plus puissant des démons.
— Il a l'air inoffensif.
— C'est qu'il navigue sous cette forme depuis cent mille ans déjà. Cela l'a plutôt assagi. »
L'aveugle joignit les mains en signe d'intense réflexion.
« Quant à moi, je suis Outa-Napisthim, l'Oracle, le seule homme à avoir survécu au premier Déluge. Les Mille-noms m'avaient condamné à voir l'avenir sans pouvoir y interférer. Sans mentir, Al-Enki, je crois bien que je les ai battus. Je le sais, car cet univers demeure encore.
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Nolim VII : L'Extinction des étoiles
Fantasía== Dernier livre dans la série Nolim == LE DERNIER JOUR EST VENU. Le Second Déluge s'abat sur l'univers et, cette fois, il emportera tous les conscients, tous les empires, tous les mondes. Quand tout aura été consommé, un nouvel univers verra le jou...