36. Excalibur

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« Ce n'est pas Excalibur, l'épée de la légende. »

Derrière la vitre, Éléana grattait un peu du métal pour se livrer à une analyse spectroscopique. Le laboratoire installé pour elle dans le Carlsson s'était encombré de radiomètres, spectrographes et autres machines aux noms barbares ; le concentrateur portatif trônait sur une étagère, comme un inspecteur des travaux finis. Mais elle exigeait de travailler seule. Elle avait gardé une tenue pressurisée pour étudier l'épée, même stérilisée et débarrassée des dernières traces de spores de verlame.

« Vous m'entendez ? » insista l'amiral Bertram.

L'ingénieure Mid'len haussa les épaules. Au fond, elle se moquait qu'il s'agisse de l'épée ou non. Elle s'estimait heureuse de s'en être sortie avec deux côtes fêlées.

Ils approchaient désormais de Magedôn. La confrontation était imminente. Mais tous les almains de l'Armada passaient leur temps non pas à réviser leurs plans de bataille, mais à chercher des souvenirs disparus. Mid'len se souvenait qu'elle avait eu un cousin, ou un frère, avec un rôle politique important pour Rems. Il était resté sur la planète en lui demandant de suivre Éléana et Reida.

« Pourquoi eux ?

— Ils ont été au cœur des événements depuis le début. Et c'est dans l'œil de l'ouragan que tu auras les meilleures chances de survie. »

Quelque chose pouvait-il survivre à cet univers ?

Pouvaient-ils vaincre l'ombre qui avait englouti les soleils ?

Suffisait-il de se battre ?

Les Stratèges semblaient le croire, mais les almains étaient indécis.

« Excusez-moi, amiral-sen. Que dites-vous ?

— Je dis que ce n'est pas Excalibur.

— Pourquoi ?

— Eh bien... pour commencer... cette épée n'est qu'une légende.

— Mais la tombe de Galahad était bien réelle.

— Et ce n'est qu'un vulgaire bout de métal.

— Qu'est-ce qu'une épée, sinon un bout de métal ? N'importe quel glaive de bataille de l'Imperium, s'il croupissait au fond d'une cave humide durant deux mille ans, finirait par ressembler à ce tas de rouille. »

Au fond, ils étaient comme deux naufragés glosant s'il faut plutôt s'accrocher au mât de gauche ou au madrier de droite, tandis qu'Éléana avait déjà grimpé sur sa planche de salut. L'alchimiste leur montrait la voie. Arrivée tout récemment dans le plan d'Omn, elle avait foi en sa décision, elle avait foi en Galahad et en la magie de l'épée légendaire.

Éléana approcha un échographe de l'objet, posé sur un linge déjà taché de rouille.

« La lame est en acier plein » dit-elle à haute voix, pour eux et pour l'Histoire.

Elle déposa la sonde derrière elle et saisit un radiomètre.

« Les émissions de radiations sont... normales pour l'archipel Zélane. »

Son spectromètre émit un couinement.

« Fer et carbone... le taux est cohérent avec les données historiques sur l'époque d'Arthur. C'est bien une épée très mal conservée.

— Ou alors, reprit l'amiral, pour lui-même et Mid'len, qui observaient à distance, c'est Excalibur, et ce n'est pas une épée magique. Nous connaissons tous la force des croyances qui animaient ces peuples. »

Cette remarque laissa Mid'len songeuse.

« Peut-être que c'est ce qui nous manque, et qu'Omn veut nous montrer. La force des convictions. Il y a trois mille ans, un homme tenant un bout de fer forgé dans la main se croyait auréolé de la puissance des dieux, et il menait ses troupes à la victoire. Aujourd'hui, nous voguons sur des vaisseaux alimentés par fusion nucléaire et radiations Higgs-Hawking, mais nos esprits sont si faibles que le roi Arthur se moquerait de nous. Ces almains téméraires menaient des batailles perdues d'avance. Aujourd'hui, nous n'oserions pas bouger le petit doigt si les Stratèges nous donnaient une probabilité d'échec supérieure à trente pour cent.

— Nous avons des millénaires d'expérience derrière nous.

— L'expérience n'est pas toujours une panacée. Nous voyons de l'impossible partout, nous croyons que les miracles sont des contes pour enfants, et les légendes épiques de nos pères sont pour nous, au mieux, une farce comique. Nous sommes désabusés et insensibles. Voilà pourquoi l'ombre a creusé dans nos cœurs sans rencontrer de résistance. »

Bertram se sentit peut-être visé, car il se renfrogna, croisa les bras et abandonna la conversation.

Dans son laboratoire, l'alchimiste était en train de désosser un grille-pain. Elle en arracha la résistance électrique et confectionna un circuit fait de cuivre et de ruban adhésif. Une batterie à hydrogène solide fournissait le courant. L'œil rivé sur son ampèremètre, l'alchimiste appuya du pied sur un bouton.

« Ça marche ! » fanfaronna-t-elle.

Elle quitta l'enceinte pressurisée de son laboratoire en ôtant à moitié sa combinaison. Le plastique blanc glissait derrière elle comme une traîne de mariée.

« Ina-sen, j'avais raison ! Le relevé électrique montre que le métal a été modifié au niveau atomique. Il y a de la magie d'Arcs tout au fond de cette épée. Je ne sais pas à quoi elle sert. Je ne sais pas pourquoi elle ne fait rien. Mais elle est là !

— Un seul relevé ne suffira pas à convaincre l'amiral, souligna la remsienne.

— Je me fiche de convaincre l'amiral. Il faut que je parle à Tanak, ou à Omn directement, pour leur dire que ça a marché.

— Ils sont tous les deux restés dans le système Raven, et le Réseau s'est coupé quand nous l'avons quitté. Omn était trop vaste pour être transporté jusqu'à Magedôn. Tanak a choisi de rester avec lui. »

Éléana cligna des yeux.

« Mais alors, qu'est-ce que nous allons faire avec cette arme ?

— Tanak m'a dit qu'il fallait la ramener à Magedôn. Il y a un quelqu'un sur la surface de la planète. Il faut la lui donner, lui seul saura s'en servir. »

Reida surgit à leurs côtés d'un pas martial et interrompit leur conversation. D'eux trois, l'okrane était sans doute le plus déçu de leur expédition sur Daln. Personne n'était plus persuadé que lui qu'il s'agissait d'une chimère, alors qu'il avait mis la main le premier sur Excalibur.

Mais après tout, cette arme ne leur était pas destinée, et leur rôle se bornait à la passer à quelqu'un d'autre.

Sa désillusion confrontée à la foi invincible d'Éléana avait fait naître une fracture évidente au sein de leur couple. Plus elle y songeait, plus Ina Mid'len se disait qu'Excalibur avait le pouvoir secret, mais décisif, de faire naître la division. Peut-être certains des squelettes abandonnés au fond de la tombe de Galahad étaient-ils ceux de pillards qui s'étaient entre-tués pour la responsabilité de leur échec.

« Nous sommes entrés dans le système, dit l'okrane. Venez voir sur la passerelle. »

Nolim VII : L'Extinction des étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant