Chapitre 32 : MONSTRE

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« Monstre »

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L'odeur du sang mêlée à celle du soufre me retournait l'estomac. Plus rien ne bougeait autour de nous, tout était terriblement calme et silencieux, pourtant, le bruit de l'explosion sifflait toujours dans mes oreilles. Comme à cette époque. Je me retrouvais  seul au milieu des décombres et de corps sans vie, exactement comme lorsque, enfant, j'avais vu mon village être détruit. À la différence que, cette fois, les bombes avaient explosé à cause de moi. Cette fois, j'étais le seul responsable de ce chaos.

Chassant ses idées inutiles, je secouais brièvement la tête. Il fallait que je sorte de ce tunnel. Je devais m'enfuir. Je devais retrouver Kuro.


« Shinto...On avait pas l'choix, pas vrai ? »

Toujours hissé sur mon dos, Hiro essayait de se rassurer. Je n'avais pas besoin de le voir pour ressentir sa peur. Sa voix tremblait et, lui qui refusait catégoriquement mon aide jusqu'à maintenant, s'était agrippé à moi. Il était terrifié par ce que nous venions de faire. Tout comme moi.

Comme enfermé dans un cauchemar sans fin, alors que nous pensions être enfin en sécurité, de nouveau un hurlement retentit derrière nous. Un hurlement de terreur, amplifié par les parois voûtées du tunnel. Je sentis alors Hiro se retourner et sa respiration se couper presque aussitôt. Moi, je ne bougeais pas. Je n'en avais pas le courage. L'ambiance était devenue encore plus pesante qu'elle ne l'était déjà et j'avais peur. ... J'avais peur de voir d'autres horreurs et de ne plus pouvoir le supporter.

Mais, il le fallait. Je n'avais pas le choix. 

Lorsque je trouvai finalement le courage de me retourner, je constatais que le cri venait d'un homme. Il appartenait à la milice lui aussi, il devait s'agir du dernier passager de la voiture qui poursuivait Hiro. Comme ses collègues, il nous attendait en embuscade et comptait sûrement nous abattre dès que nous lui aurions tourné le dos. Et puisque ni moi, ni Hiro ne l'avions entendu, il aurait réussi. Sans aucun doute.


Heureusement pour nous quelqu'un, ou plutôt quelque chose, l'en avait empêché. L'homme était désormais plaqué au sol par la bête qui s'était jeté sur lui. Bientôt, les grognements d'un monstre résonnèrent dans tout le tunnel et lorsqu'ils cessèrent enfin, ils furent de nouveaux remplacés par les hurlements de l'agent. La bête avait de nouveau planté ses crocs dans la chair de sa victime. Les secondes qui suivirent ne furent qu'une succession de cris et de grognements.

Lentement, j'avais reposé Hiro sur le sol. Je devais être libre de mes mouvements pour pouvoir le protéger. Le garçon s'était assis lentement, sans faire un bruit, en bougeant le moins possible. Lui comme moi, nous ne pouvions détacher nos regards de cette bête. Nous n'osions plus bouger, ni même respirer. C'était la première fois que nous nous retrouvions face à un tel spectacle. Le monstre n'était certes pas très grand, mais il avait de petits bras fins qui se terminaient par de longues griffes acérées. Il avait beau être petit, le seul fait de poser son regard sur lui suffisait à provoquer une sensation de terreur. Son corps sombre ne nous permettait pas de voir exactement de quoi il s'agissait, mais malgré l'obscurité, nous pouvions clairement distinguer ses dents, et lorsqu'il relâcha sa victime, j'aperçu également la lueur rouge qui brillait dans ses yeux. ...


Ces yeux.


« Non... arrête... » Sans même m'en rendre compte, j'avais fait un pas vers lui. Et ces mots que j'avais pourtant à peine soufflés eurent tout de même leur effet. Le monstre se redressa soudainement. Il releva la tête, huma l'air un instant et se tourna dans notre direction. Comme s'il venait seulement de remarquer notre présence. « Ne ... Ne le tue pas. »

Hiro tira sur ma manche pour m'inciter à arrêter. Attirer l'attention de ce monstre n'était de toute évidence pas une bonne idée. Surtout que cet homme à qui il s'attaquait s'apprêtait à nous tuer quelques instants auparavant, alors je n'avais aucune raison de lui sauver la vie. Hiro avait raison et pourtant, je fis un pas de plus.


Bien que ça soit la première fois que je me retrouvais face à un tel monstre, je savais exactement de quoi il s'agissait. Ce monstre ... Cette bête qui se tenait à quelques mètres de nous, était ce qui terrifiait tant le gouvernement. C'était la véritable forme des enfants qu'ils enfermaient. Un démon. En me retrouvant face à cette bête, je compris alors pourquoi ils en avaient si peur, et pourtant, je ne pouvais pas reculer. Parce que je savais qu'au fond ce monstre, cette bête, n'était en réalité qu'un enfant terrifié. Un jeune démon qui faisait tout son possible pour aider. Pour m'aider, moi.

« Ne le tue pas ! KURO ! »

Seuls ses yeux rouges étaient visibles et ses grognements, qu'il m'arrivait parfois de trouver adorables, étaient désormais semblables à ceux d'une bête enragée. Voilà donc ce que tu es réellement, Kuro. Un démon.


D'après mes manuels de cours, une transformation chez un démon aussi jeune n'est jamais contrôlée ou volontaire. À cet âge, une transformation est provoquée par une émotion trop forte, bien souvent la colère ou la peur. Kuro avait dû paniquer en voyant cet agent qui s'apprêtait à nous attaquer, c'était sûrement ce qui avait déclenché sa perte de contrôle. Il s'était laissé emporter pour nous protéger Hiro et moi. Il avait laissé la peur et la colère s'emparer complètement de lui et il risquerait désormais de détruire tout ce qui se dresserait sur son passage, sans même sans rendre compte. C'est généralement ce que font les démons pour se défendre. Et c'était malheureusement ce qui était sur le point d'arriver. Toute la peur et la colère que cet enfant avait accumulée durant ces années étaient bien trop fortes pour qu'il ne parvienne à les contrôler.

« Ne le tue pas ! Kuro ! »

Mais malgré tout, ce n'était pas un monstre. Ce n'était qu'un enfant et il faisait de son mieux. Ce n'était qu'un enfant et il n'avait pas à tuer. Pas par ma faute, pas à cause de moi. J'attrapai le revolver qui traînait encore au sol et sans hésiter visais en direction de l'agent qui se débattait toujours pour se libérer des griffes du démon. C'est à moi de le faire. Tant pis si je dois tuer de mes propres mains. Tant pis si je le fais volontairement. Un enfant ne doit pas tuer. Kuro ne doit pas tuer. Je ne le laisserai pas faire quelque chose qu'il regrettera.


« Kuro ! Lâche-le ! » A force de l'interpeller, le petit monstre releva de nouveau les yeux vers moi. « C'est bon, tout va bien Kuro. Je suis là, tu peux le lâcher maintenant. »

D'un signe de tête, je lui ordonnai de s'éloigner et même si les démons sont réputés pour être incontrôlables, il obéit. Après être resté immobile un instant, il se releva et s'éloigna de sa victime. Sans réfléchir, j'actionnais la gâchette du revolver et les insupportables cris de douleur l'agent cessèrent. Ce n'étaient pas mes méthodes, certes, mais je devais protéger Kuro. Je devais le protéger de lui-même. Je devais l'empêcher de devenir un monstre.

Le coup de feu avait retenti puis le silence était revenu. Le petit démon avait alors reporté son attention sur moi. Il me fixa de longues minutes sans bouger. Dans son état, il ne devait même pas être capable de me reconnaître. Je le savais, je devais me tenir prêt. Il allait attaquer, ce n'était qu'une question de temps.

Je devais trouver le moyen de l'arrêter. De le calmer.

N°1203Où les histoires vivent. Découvrez maintenant