Chapitre 14 : KURO

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« KURO »

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J'étais rassuré de voir que 1203 ait finalement accepté de manger. Il semblait toujours avoir un peu de mal à rester éveillé, mais il commençait à reprendre ses forces. L'idéal aurait été de prendre le temps de manger un vrai repas, mais nous ne pouvions malheureusement pas rester au même endroit plus longtemps. Pour ne prendre aucun risque, je voulais bouger le plus possible. Nous devions continuer d'avancer jusqu'à trouver un refuge, ou au moins un endroit moins risqué où nous pourrions rester pour nous reposer. Le démon grimpa sur mon dos et je me relevai afin de reprendre notre route.


" Au fait, moi c'est Shinto. Sakuyama Shinto. "

Connaître mon nom devait être la dernière de ses préoccupations, mais je voulais continuer de lui parler puisque comme je l'avais espéré, cela semblait le rassurer. Ou l'endormir... Je ne suis pas sûr.

Je sentis d'ailleurs les bras du garçon se resserrer légèrement autour de mon cou, puis il posa sa tête contre mon épaule, s'en servant comme d'un coussin. Il était calme. Est-ce que j'étais réellement parvenu à l'apprivoiser si facilement ? À l'aide d'un peu d'eau et d'une brioche industrielle ? À cette idée, je ne pus m'empêcher de sourire.

" Et toi, est-ce que tu as un nom ? Est-ce que tu t'en souviens ? "

Je savais que la plupart de ces enfants n'avaient pas reçu de prénom à la naissance. Et puisqu'il n'y en avait aucun d'inscrit sur le dossier de 1203, il n'était pas difficile de comprendre que personne n'avait trouvé utile de lui donner un nom. Pourquoi se fatiguer à donner un nom à un monstre de toute façon ?

" Oublie ça, ce n'est pas grave ... Tu peux essayer de dormir maintenant si tu veux. "

Le garçon ne s'était pas fait prier, il s'était très rapidement endormi. J'avais continué d'avancer à travers la forêt, et le jour commençait tout juste à se lever. Nous étions seuls et la forêt était plongée dans un calme à la fois étrange et agréable. 


Cela faisait maintenant plusieurs heures que je marchais, et contrairement à ce que j'avais pensé, je ne ressentais ni la fatigue, ni la faim, ni le froid. Je n'étais pas réputé pour mon côté sportif, mais je crois que je m'en sortais plutôt bien.

J'avais décidé de marcher jusqu'à la maison de mon oncle. Par chance, elle n'était pas loin. Enfin, elle l'était, mais je me sentais capable de l'atteindre à pied. J'étais conscient que trouver refuge chez la seule famille qui me restait n'était pas une idée très recherchée, mais si Dan et Isaac étaient toujours en déplacement à la capitale, personne ne devait encore être au courant de mon "enlèvement". Cela nous laissait encore quelques jours de répit.

Si mon choix s'était arrêté sur cette maison, c'est parce que je savais qu'il y avait de grandes chances pour qu'elle soit inhabitée. Mon oncle faisait partie des volontaires qui s'étaient engagés à l'armée, il ne rentrait donc que très rarement chez lui. C'était pour le moment la chose la plus simple à faire et ça nous permettrait de nous poser un peu plus tranquillement. Ainsi, je pourrais retravailler mon plan afin de mettre toutes les chances de notre côté. Personne ne devait nous retrouver. Jamais. Détenir un démon était considéré comme une menace contre la nation et passible de peine de mort. S'ils nous retrouvaient nous serions tués, tous les deux.


En marchant, mon esprit avait toujours eu tendance à se perdre et, de fil en aiguille, j'avais fini par repenser à la dernière question que j'avais posée au démon avant qu'il ne s'endorme. Cet enfant n'avait pas de prénom et je ne pouvais pas continuer de l'appeler par son numéro éternellement. « 1203 », ce n'était pas un prénom. Tant que je continuerais à l'appeler ainsi, j'aurais l'impression d'être toujours un de ses scientifiques. Tant que je continuerais à l'appeler ainsi, il ne resterait qu'un démon.

Le nom qui figurait sur son dossier "Akaishi" appartenait sûrement à la famille qui avait vendu cet enfant au laboratoire. Je ne pouvais donc pas le reprendre. J'avais conscience qu'il s'agissait d'une grande responsabilité, mais j'étais le seul à pouvoir faire. Il fallait trouver un nom qui lui corresponde. Un nom qui ait du sens.

J'avais d'abord pensé à "Akuma" qui signifiait "démon", mais j'avais rapidement abandonné l'idée, autant continuer de l'appeler 1203. J'avais ensuite pensé à "Kodomo" pour "enfant", mais il grandirait un jour et ça n'avait aucune signification particulière. Connu pour être le roi de l'indécision, je pensais à un nouveau nom quasiment à chaque nouveau pas. Shinri, Raito, Amane, Soushi, Kaishi, Sento. Aucun de ceux auxquels je pensais ne convenait réellement. Yuki, Kou, Kibo, Kitai, Kuro.

Kuro.

Je ne sais pas exactement pourquoi ce nom m'était venu en tête à ce moment-là, mais il effaça instantanément tous les autres. Je marchais depuis des heures sans flancher et pourtant, je venais de m'arrêter. C'était ça. C'était le nom avec le plus de sens et le plus puissant qui puisse exister à mes yeux.

" Kuro. "


En remarquant que je m'étais arrêté, le démon inquiet avait relevé la tête pour essayer de comprendre ce qu'il se passait. Je m'efforçais de le rassurer, puis il reposa sa tête contre mon épaule, resserrant une nouvelle fois ses bras pour ne pas glisser. 

Il s'agissait certes du nom le plus puissant qui existe, mais avais-je seulement le droit de l'utiliser ? Kuro. Mon Kuro. Est-ce que tu m'en voudrais ?


Ce nom si particulier à mes yeux appartenait à l'humain le plus important et le plus précieux que je n'ai jamais connu. Celui à qui j'offrirais ma vie sans hésiter. Celui que j'aimais par-dessus tout, mais que je n'avais pas su protéger. Mon petit frère.

Plus les pas se succédaient plus l'idée absurde de lui donner le nom de mon frère se renforçait. Je ne sais pas si c'était la fatigue ou le froid qui m'empêchait de réfléchir convenablement, mais j'avais fini par penser que ce démon m'offrait enfin une chance de me racheter.


Je voudrais tant te revoir. Kuro.

N°1203Où les histoires vivent. Découvrez maintenant