Chapitre 13 : PETIT PAIN

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« Petit pain »

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A l'arrière de la voiture, le démon tenait toujours ma main dans la sienne. Je n'avais pas osé m'asseoir de peur de l'effrayer à nouveau, alors j'étais resté debout hors de la voiture, penché, presque plié en deux pour pouvoir garder ma main près de lui.

Après deux ou peut être trois heures, il avait fini par se calmer complètement. Il avait l'air de s'être habitué à ma présence. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il l'appréciait, mais sa crise était passée. Je me risquai donc à me rapprocher pour m'asseoir sur la banquette avec lui. Pour être tout à fait honnête, j'avais le dos en compote et j'avais surtout besoin de m'asseoir. En me voyant approcher, le garçon s'était également redressé, son regard était toujours méfiant, mais c'était plus modéré.


" Je sais que tu aimerais rester tranquille et que j'arrête de t'embêter, mais on va devoir quitter la voiture. "

Ma voiture était selon moi facilement traçable, et j'étais persuadé que nous serions trop vite repérés si nous continuions ainsi trop longtemps. Le mieux était encore d'avancer à pied.

Avant de le sortir de la voiture, je devais le recouvrir avec ma veste. Il surveillait chacun de mes mouvements et grognait à chaque fois que je l'effleurai, mais j'étais finalement parvenu à lui mettre la veste sans trop de difficulté. Emmitouflé dans ce vêtement bien trop grand pour lui, je pouvais le garder caché des regards et du froid. Après plusieurs tentatives, il finit également par accepter de sortir de la voiture. J'attrapai mon sac et pris le démon dans mes bras avant de partir en direction de la forêt.


Durant le chemin, le garçon s'était agrippé à ma chemise et avait posé son front contre moi. Il gardait les yeux fermés et ne semblait pas vouloir regarder autour de lui. Toutes ces choses nouvelles pour lui semblaient l'inquiéter. 

Après m'être suffisamment éloigné de la route, je décidai de m'arrêter près d'un petit ruisseau et l'aidais à s'asseoir sur un tronc d'arbre. J'avais peur que la scène de la voiture se reproduise et qu'il essaye de s'enfuir alors je m'efforçai de toujours lui sourire. Mais mes efforts étaient inutiles puisqu'il ne faisait pas attention à moi. Il semblait comme déconnecté et fixait vaguement le sol.

Puisqu'il semblait calme, je voulais en profiter pour constater l'ampleur de ses blessures afin de m'assurer qu'il n'y ait rien d'urgent ou de vitale.

" Tu permets ? " Je m'abaissai en face de lui et m'approchai pour retirer sa veste. Lorsque j'approchai, il avait toujours le réflexe de se reculer, alors pour ne pas l'effrayer davantage, j'avais automatiquement levé mes mains pour lui montrer que je ne lui ferais rien s'il ne voulait pas. 

J'attendis un instant avant d'essayer de nouveau, plus prudemment. Il se laissa faire. Sous le torchon qui lui servait de vêtement, je découvrais alors les nombreuses cicatrices, brûlures et plaies toujours ouvertes qui recouvraient son corps. Ce constat me fit soupirer. Ce n'était plus de la science, à ce niveau-là, c'était de l'acharnement. Moi qui pensais que mes collègues étaient plus respectueux que les autres. Je m'étais trompé.

J'avais ensuite sorti le désinfectant, les bandages et autres pansements de mon sac sous le regard toujours inquiet de 1203. Lorsque j'avais commencé à soigner ses plaies, il n'avait pas cherché à fuir, mais il sursautait à chaque fois que je le touchais. Mon but n'était pas de l'effrayer et j'étais rassuré de voir qu'il n'y avait rien de trop grave alors je préférais le laisser tranquille pour l'instant. J'étais déjà satisfait qu'il m'ait laissé approcher de la sorte. Je m'étais contenté de bander ses poignets qui étaient toujours bien amochés.


" Ça ira pour le moment ... J'ai... aussi apporté des vêtements à ta taille, ça sera sûrement mieux pour toi et comme ça, tu vas pouvoir me rendre ma veste. "

Bien que je n'étais toujours pas sûr qu'il comprenne ce que je lui disais, je continuais de lui expliquer tout ce que je faisais. Je me disais que comme ça, il se sentirait peut être un peu plus rassuré et qu'il finirait par s'habituer à ma voix.

J'attrapai de nouveau mon sac pour y sortir les quelques vêtements d'enfant que j'avais apporté. Il y en avait beaucoup trop ... J'en avais prévu suffisement pour tous les enfants du centre. Je choisi les vêtements les plus chauds pour les tendre à 1203.

" Ceux-là sont confortables et ils te tiendront chaud. C'est mieux que ... ce que tu as maintenant, pas vrai ? "

Il baissa les yeux pour observer la tenue que je lui proposais, mais ne montra aucune réaction. J'avais naïvement pensé qu'il s'habillerait seul, mais il n'en avait visiblement pas l'intention, ou il ne savait tout simplement pas ce que je lui demandais.

" C'est pas grave... Je vais t'aider. Tu veux bien ? ...Oui ? "

Bien qu'il continuait de se terrer dans le silence, il accepta de se laisser faire, sans reculer cette fois. Je m'appliquai à mettre son pull le plus délicatement possible. Il était vraiment très maigre et j'avais peur qu'un geste un peu trop brusque puisse lui briser les os.


Pendant que je réajustai son col, je remarquai qu'il avait enfin relevé les yeux pour observer la forêt. Il montrait enfin un intérêt pour ce qui l'entourait. Il avait levé la tête pour regarder, impressionné, les grands arbres qui nous entouraient.

Esquissant un sourire, j'avais moi aussi relevé les yeux. Ça faisait longtemps que je ne m'étais pas retrouvé dans un endroit aussi calme. Pas de bruits, pas de cris, pas d'alarmes.... Seulement le bruit de l'eau s'écoulant tranquillement dans le ruisseau. Seulement le sifflement du vent dans les feuilles. C'était reposant. Des moments comme ceux-ci étaient rares en temps de guerre. Plus personne ne prêtait attention à des choses aussi simples. 

Je rebaissai les yeux vers 1203 en souriant.

" Ca doit faire bizarre de voir tout ça... Mais c'est beau, pas vrai ? "

Il rebaissa les yeux vers moi et m'observa un instant avant de finalement s'intéresser à la feuille qui venait de se poser sur ses genoux. Son visage était toujours aussi inexpressif, mais je pouvais voir dans son regard qu'il était déjà plus tranquille. On m'avait toujours fait croire que ces démons étaient dangereux ... C'était ridicule.


Je fouillai dans mes poches pour y sortir un petit pain au chocolat que je lui tendis après avoir retiré le film plastique.

"... Est-ce que tu veux goûter ? Ça t'aidera à reprendre des forces. "

Il le regarda puis leva de nouveau les yeux vers moi. Comprenant qu'il hésitait, je déchirai alors le petit pain en deux. S'il me voyait en manger, il aurait sûrement un peu plus confiance. Prenant volontairement un air détaché, je tournai la tête et commençai à manger une moitié, alors que je lui tendais toujours l'autre.

Il me regarda faire avant de baisser les yeux vers sa part. Il finit par attraper le petit pain et prit prudemment une première bouchée. Finalement, le pain fut rapidement avalé. Je lui tendis alors l'autre moitié que j'avais à peine touchée. Je lui proposai ensuite une bouteille d'eau et cette fois, il n'hésita pas. Il but pendant que je le regardais en souriant, assez fier de moi.

Petit à petit, j'espérais pouvoir gagner sa confiance.

N°1203Où les histoires vivent. Découvrez maintenant