Chapitre 3 : NUMERO

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« NUMERO »

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Durant la traversée du couloir, mon tuteur qui s'était montré si expressif au début de la journée ne disait plus un mot. Peut-être en avait-il eu marre de parler dans le vide ou bien, c'était parce qu'il était désormais sur ses gardes. Il gardait sa main fermement posée sur la nuque de l'enfant-maudit pour ne lui laisser aucune possibilité de fuir et l'obliger à marcher docilement à ses côtés.

Cet homme si chaleureux et accueillant envers moi, était désormais sérieux et froid. Je ne l'avais pas remarqué lorsque nous discutions, mais il dégageait cette aura particulière. Je ne saurais pas vraiment comment l'exprimer avec des mots, mais sa seule présence imposait le respect. Il semblait si sûr de lui, si charismatique que même moi, je n'osais pas m'éloigner, de peur de l'énerver. C'était évident à présent, lui et moi n'avions rien en commun. Pourtant, si je voulais travailler ici, je devrais un jour être capable de dégager la même assurance que lui.

Il s'arrêta devant l'une des salles d'analyses, déverrouilla la porte à l'aide de son badge avant d'entrer en m'invitant à faire de même. J'entrai donc à mon tour en refermant la porte derrière moi. Pendant que mon supérieur installait l'enfant, j'en profitai pour observer la pièce dans laquelle nous étions.

La première chose qui m'avait frappé en entrant était la forte odeur de javel et la lumière aveuglante. Encore l'odeur pouvait s'expliquer par le fait que lorsque l'on travaille dans un laboratoire tel que ARES LAB, les mesures d'hygiène sont très strictes. La plupart des pièces sont intégralement recouvertes d'un carrelage blanc et pour ne prendre aucun risque, tout est régulièrement désinfecté. La lumière quant à elle, était bien plus gênante. Je sais qu'il s'agissait d'une mesure de prévention et que les yeux rouges des enfants sont plus sensibles à la lumière que les nôtres, mais même pour moi, c'était tout juste supportable.

Décidant de passer outre cette lumière, je me reconcentrai sur ce pourquoi nous étions venu : le recensement de ce démon. Mon tuteur avait déjà installé l'enfant à sa place et s'occupait désormais de rassembler les ustensiles dont il avait besoin. L'ambiance était étrange. Tout était calme. Même l'enfant, qui était pourtant assis sur une chaise, les poignets attachés par des sangles, ne disait rien. Il se contentait d'observer le mur face à lui, silencieux. Ce calme était pesant. Il me mettait mal à l'aise. En sentant, mon regard sur lui, le démon avait relevé les yeux vers moi. Ne sachant pas comment réagir, j'avais de nouveau baissé la tête.

" Ce dispositif peut sembler un peu barbare à première vue, mais les sangles que vous voyez, sont seulement là pour garantir la sécurité de chacun. Elles sont résistantes, mais tant que le démon ne bouge pas, elles ne le blesseront pas. "

J'acquiesçai et me rapprochai de mon supérieur qui me faisait signe de le rejoindre pour observer. Il tenait dans sa main un petit objet en plastique qui me faisait penser à un tampon à encre, au détail près qu'il n'avait pas prévu d'encre.

" Je viens d'imprimer cette aiguille. Comme vous pouvez le voir, elle porte le numéro " 139 " et un code barre. 139 correspond désormais à son numéro de dossier et le code barre nous permettra d'accéder à toutes ses données importantes rapidement à l'aide du scanner que je vous montrerai plus tard. "

Tout en me parlant, mon supérieur avait agrippé l'enfant par les cheveux pour basculer sa tête en avant et ainsi dégager sa nuque. La suite s'est passée trop rapidement pour que je m'en souvienne réellement. Je me souviens seulement que lorsque le tampon en plastique était entré en contact avec la peau du démon, ce dernier s'était mis à hurler. Lui qui était si calme jusqu'à présent hurlait à la mort. Mon supérieur, nullement affecté, le maintenait fermement pour l'empêcher de bouger.

Incapable de bouger, j'observai horrifié la scène qui se déroulait devant moi. C'était irréaliste. Cet enfant hurlait de douleur et cet homme restait là, parfaitement impassible. 

Alors c'était ça " être habitué ". C'était ça que je deviendrais en travaillant ici. Je crois que c'est à ce moment précis que j'ai compris ce qu'impliquait le fait de travailler pour ARES LAB. Je pourrais certes sauver des vies en travaillant sur l'élaboration de nouveaux vaccins, mais en échange, je devrais accepter de vendre mon âme. Je venais tout juste de comprendre ce que j'avais accepté et ce que j'avais signé. Malheureusement, je savais également très bien que lorsque l'on acceptait de travailler pour ce genre d'endroit, il était impossible de faire marche arrière.

Ne supportant plus d'entendre les cris du démon, je reculai, plaquant les mains sur mes oreilles. 

Je veux que ça s'arrête. Je veux qu'il se taise. Je n'y arriverai pas. Faites-le taire. Arrêtez. Arrêtez. Arrêtez... .

Ne parvenant plus à supporter ce qu'il se passait dans la pièce, je me souviens avoir enfoncé la porte pour traverser le couloir en courant. C'était lâche, mais je devais m'enfuir. Je m'étais réfugié dans les vestiaires. Honteux de ce que je venais de faire, je m'étais assis derrière un casier, espérant que plus personne ne vienne me voir. Jamais.

" Sakuyama. ... Sakuyama Shinto ! "

Je ne sais pas exactement combien de temps j'étais resté assis là, seul. Mais en relevant les yeux, je remarquai que mon tuteur m'avait rejoint et se tenait devant moi. Tout en me dévisageant, il me tendit une bouteille d'eau. Reprenant progressivement mes esprits, j'acceptai la bouteille sans oser le regarder dans les yeux. Je bredouillai des excuses mais j'ignore si les mots étaient réellement parvenus à sortir de ma bouche.

" Je pensais que vous confronter directement aux démons vous permettrait de comprendre plus rapidement. Je pensais faciliter votre intégration, mais j'y suis peut-être allé un peu fort. Je vous prie de m'excuser. "

Il s'installa contre le mur, s'asseyant à mes côtés en me souriant.

" Vous savez, vous devrez prendre l'habitude de ce genre de choses. Ca ne sera pas évident au début, j'en conviens. Mais je vous assure que ce démon tout à l'heure, ne faisait que jouer la comédie. S'il a hurlé comme il l'a fait, ce n'est pas parce qu'il avait mal. Ce sont des démons, ils ne ressentent pas la douleur. Non, s'il a crié, c'est seulement parce qu'il a senti que vous étiez fragile. Il a seulement cherché à provoquer en vous de la pitié, pensant sûrement que vous le libéreriez. Ces démons sont conçus pour exploiter la moindre de nos faiblesses. Moins vous en montrerez, moins vous serez vulnérable. Vous êtes encore jeune, mais vous apprendrez vite, j'en suis persuadé. "

Il était ensuite resté avec moi, le temps que j'aille mieux puis il m'avait laissé rentrer chez moi. Il avait insisté sur le fait que je n'avais pas à avoir honte de ce qu'il s'était passé. Il m'avait également promis que le reste de la semaine serait plus tranquille et que je n'avais pas à m'en faire pour la suite. Pourtant, malgré tous ses efforts pour me rassurer, j'étais rentré chez moi la boule au ventre.

Ce n'était pas ma place.

N°1203Où les histoires vivent. Découvrez maintenant