Chapitre 15 : SOUVENIRS

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« Souvenirs »

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J'avais eu une famille moi aussi. Même si je parvenais tout juste à me souvenir d'eux, je sais que mes parents et mon frère étaient les personnes que j'admirais le plus au monde. Ils me manquaient terriblement, mais je faisais de mon mieux pour ne pas y penser trop souvent. Je détestais ce sentiment de culpabilité qui m'envahissait à chaque fois qu'un détail me faisait penser à eux et qui me rappelait que j'étais responsable de leur mort. 


J'étais encore jeune lorsque l'incident est arrivé. Pourtant, peu importe le nombre d'années qui me sépare de ce soir-là, je sais que je ne pourrais jamais l'oublier.

C'était une journée comme toutes les autres. Je venais tout juste de rentrer de l'école. Mes parents étaient au salon, scotchés devant la télévision, pendant que mon frère et moi prenions le goûter dans la cuisine.

Comme à son habitude, mon frère Kuro, jouait distraitement avec son verre de lait. Il avait relevé les yeux vers moi avec son faux regard inquiet.

" Shinto ... Tu crois qu'on doit partir ce soir ? "

Avant de lui répondre, j'avais jeté un coup d'œil à la télévision. A première vue, il ne semblait avoir aucun flash spécial aux informations. Il n'y aurai donc aucune attaque pour le moment. 

" Mmh laisse-moi réfléchir..." J'avais fermé les yeux, mimant une concentration intense. J'avais pris l'habitude de faire croire à mon frère que j'avais le pouvoir de prédire l'avenir. Penser que son grand frère avait des super-pouvoirs l'impressionnait toujours beaucoup et moi, ça m'amusait. " Non ! Pas besoin de rejoindre l'abri, on ne sera pas attaqué donc ce soir on dort à la maison ! "

Il s'agissait de toute évidence, d'une bonne nouvelle, mais mon frère, comme bien souvent, avait soupiré. Je savais qu'il préférait dormir au refuge plutôt que dans sa chambre. Tout ça parce que là-bas, nous dormions tous ensemble.

" Mais je pourrai quand même dormir avec toi... Hein, Shinto ? "

Refusant de répondre, je m'étais levé en lui volant sa brioche avant de partir me poster devant la fenêtre. Si je ne lui avais pas répondu, c'était simplement parce que je ne voulais pas dormir avec lui. Pour moi à l'époque, c'était chacun sa chambre. J'étais grand et je ne voulais pas partager.

Mon frère s'était bien sûr mit à crier au vol de brioche; cris suivis par ceux de ma mère qui m'ordonnait de lui rendre ce que j'avais pris. Mais je n'en avais pas l'intention, il y avait plus important qu'un goûter et ce gosse devait s'en rendre compte. Nous étions en guerre. 


Depuis tout petit, j'avais pris l'habitude de regarder le ciel. Priant pour avoir la chance de connaître le jour où cette stupide guerre prendrait fin. Vivre en permanence dans la peur était devenu difficile. Je me souvenais à peine du temps où c'était différent. Du temps, où nous pouvions vivre comme des enfants normaux.

Contrairement à mon frère, moi je détestais dormir dans ces abris. Je détestais ces bombes et je détestais ce monde. Kuro était sûrement trop petit pour s'en rendre compte. Quand nous étions ensemble à l'abri, mes parents et moi faisions tout notre possible pour qu'il ne se rende compte de rien. Si bien qu'il avait fini par aimer ça.

La guerre durait depuis plusieurs années déjà et des habitudes s'étaient installées, nous apprenions à vivre avec. Tous les soirs en rentrant du travail, mes parents surveillaient l'actualité. Dès que les journaux nous demandaient d'être prudents, dès qu'une alarme retentissait, nous regagnions un abri pour attendre que le calme revienne. Nous survivions simplement comme ça. En restant cachés, comme des rats.


Ce soir-là, il n'y avait pas eu d'alarme ni d'annonces particulières. Et puisque je l'avais promis à Kuro, nous n'avions rien à craindre. Nous pourrions dormir à la maison sans crainte. Je pourrais être tranquille dans ma chambre.

Cette pensée m'avait fait sourire. Je contemplais le ciel en finissant le goûter que je venais de voler à mon frère. Il n'y avait pas eu d'alarme, alors il n'y avait pas de quoi s'inquiéter... Il n'y avait pas eu d'alarme, alors c'est sûrement pour ça que je n'avais rien dit en voyant les avions traverser le ciel. C'est aussi pour ça que je n'avais rien dit en voyant les voisins s'enfuir en courant.

" Shinto ! Arrête de faire crier ton frère ! "

Paralysé, je fixai le ciel alors qu'il s'assombrissait. L'alarme n'avait pas retenti ... Elle n'avait pas sonné alors pourquoi ces avions étaient-ils là ? Pourquoi est-ce qu'ils se rapprochaient ? Pourquoi les gens couraient ? Pourquoi les gens criaient ?

J'aurais dû hurler moi aussi. J'aurais dû les prévenir. Mais je n'avais rien fait.


Une bombe. 


Une bombe avait explosé dans ma rue. Je me souviens encore très clairement de son terrible sifflement qui m'avait arraché les tympans et soufflé le toit de ma maison. Il avait suffi d'une seconde pour qu'une de leurs stupides bombes détruise tout. Mon village avait été dévasté et ma famille... Mon père, ma mère, mon frère avaient été emportés. Eux comme tous les autres d'ailleurs. Il n'y avait eu aucun survivant, aucun sauf moi. J'étais seul. Je me demande toujours pourquoi j'avais survécu. Pourquoi je n'étais pas parti avec tout le monde. Ca aurait sûrement été mieux comme ça.

J'ai du mal à me souvenir exactement de ce qui s'était passé ensuite, mais je me souviens me tenir debout au milieu des décombres, tenant toujours ce morceau de pain. Celui que je venais tout juste de voler à mon frère. C'était idiot, mais à cet instant, j'avais l'impression d'avoir volé quelque chose de précieux que je ne pourrai jamais rendre. Le dernier souvenir de mon frère.

Ce soir-là, je lui avais promis qu'il n'avait rien à craindre, il m'avait fait confiance alors que je n'en savais rien. J'avais vu ces avions arriver, mais je n'avais rien dit. Je jouais les héros, mais je n'étais qu'un enfant.

J'avais ensuite été pris en charge par un orphelinat où les enfants partageaient tous le même passé. J'ai grandi, alternant les séjours chez mon oncle et au pensionnat. Priant toujours pour connaître le jour où la guerre prendra fin.


Sur mon dos, l'enfant se remuait me ramenant ainsi au présent. Kuro, c'était le nom le plus puissant qu'il n'ait jamais existé. Mon souvenir le plus triste et le plus heureux. Mon souvenir le plus terrible et le plus joyeux. Mon Kuro.

" Kuro... Est-ce que je peux t'appeler comme ça ? "

Le garçon ne montra aucune objection et j'imagine que ce n'était pas ce qui le préoccupait le plus. Mais c'était important pour moi et j'avais fait mon choix. 


J'avais été incapable de protéger mon petit frère, Sakuyama Kuro. Mais cette fois, je ferai tout mon possible pour te sauver, Akaishi Kuro.

N°1203Où les histoires vivent. Découvrez maintenant