Chapitre 5

2.1K 259 38
                                    

Le voleur d'ombrelle est plutôt beau, c'est là son principal défaut –ou atout– et je maudis Dieu intérieurement d'avoir créé un homme aussi séduisant que lui, qui plus est quand il est assis en face de moi. Il ne me regarde pas pour le moment, et c'est tant mieux pour moi. Le nez niché dans ma soupe, j'écoute vaguement les conversations autour de moi.

La famille royale de Socrenia est assez silencieuse, je l'ai remarqué et Eileen tente de faire la conversation avec les parents mais seul Therys répond aimablement. Je relève la tête pour les dévisager chacun à leur tour. La reine de Socrenia est assise en bout de table, face à Irena. Elle a les cheveux blonds assez longs, l'air plutôt gentille et de grands yeux bleus tirant vers le gris. Elle porte une robe avec des manches bouffantes : la mode typique de Socrenia. Son mari, lui, a la peau blafarde contrairement à sa femme et les cheveux roux. Il dégage une sorte d'élégance sans pareille et dont ont vraisemblablement hérité ses deux fils. Les deux n'ont aucun frère ou sœur, et donc Julio s'ennuie.

Il fixe sa soupe comme s'il était au bord de la mort et je me penche vers lui pour lui chuchoter :

— Tu devrais manger ta soupe ou tu n'auras pas de pomme au dessert.

Il se redresse, l'air effaré, saisit le bol et engloutit sa soupe comme une furie. Un sourire m'arrache les lèvres et lorsque je relève la tête, je rencontre deux pupilles marron braquées sur moi. William me fixe et je le fixe. S'il veut jouer au jeu du regard, il va perdre ! Mon visage redevient détestable et je lui lance des fléchettes de mes yeux. Il ne réagit pas, au contraire, il s'amuse. Sa tête posée dans sa paume de main, il me dévisage comme si j'étais un tableau accroché à un musée et je ne tiens pas.

J'ai toujours été faible. Alors je détourne en premier le regard et je sens toujours qu'il n'a pas bougé. J'apporte la cuillère à ma bouche, déglutis lentement et lorsque je relève la tête de nouveau, je n'y tiens plus.

— Un problème ? lâché-je trop fort.

Tout le monde se tourne vers moi, y comprit ses parents. S'ils me trouvent horrible, je m'en fiche. J'en ai marre que ce dégénéré voleur d'ombrelle me regarde comme si j'étais une mouche ! Bon, peut-être pas une mouche mais qu'il arrête son cinéma.

— Bianca...

Eileen pose sa main sur mon bras en même temps que je reporte mon attention sur mon bol de soupe. Julio coupe court à l'immense silence qui a pris place et lance :

— Je peux aller jouer avec Bianca ?

— Julio, nous sommes en plat repas, intervient Ander. Tu joueras plus tard.

— Mais je n'ai plus faim, soupire son frère.

— Tu peux sortir de table, intervient la reine Irena.

J'aime cette femme. À chaque fois qu'elle prend la parole, tout le monde s'arrête de parler. C'est comme si elle avait une prestance et une autorité singulière à elle-même et je l'admire pour ça. Moi, quand je parle, je bafouille ou sors des inepties.

Julio sort alors de table et je ne sais pas si je dois l'accompagner aussi. Je jette un coup d'œil à la reine qui me fait un signe de la main pour me dire oui. Après m'être excusée, je sors de table et j'entends Irena dire que Julio supporte mal le décès de son père et qu'il a tissé un lien assez fort avec moi.

C'est vrai que depuis l'année dernière, lui et moi nous entendons bien. Il m'accompagne souvent dehors, me donne des cours de physique et je l'écoute attentivement. Il me donne des pommes aussi, me dit que je suis jolie pratiquement tous les jours et que plus tard, il voudra épouser une physicienne qui me ressemble. Et ça me fait sourire, ça m'apporte un peu de bonheur chaque jour parce que Julio est le premier être sur terre à ne pas me poser de questions. Il me supporte sans s'en rendre compte et m'offre une compagnie différente des autres. Viendra un jour où il grandira et où je ne pourrais plus rester avec lui. Alors en attendant, je profite.

Je sors de la pièce, suivant Julio qui sautille dans les couloirs. Pour son âge, je le trouve assez grand. Il fait presque ma taille, je n'ai jamais été grande de toute manière. Eileen, elle, est grande, elle a de longues jambes, est élancée et vraiment jolie. Moi j'ai juste des beaux cheveux et des yeux plutôt sympa à regarder. Le reste, personne ne s'en soucie.

— Je crois que...

Je relève la tête en entendant des pas derrière moi. Je me retourne et grimace. William s'avance vers nous et Julio le rejoint. Je le suis et l'entends dire :

— Tu viens jouer avec nous ?

William me lance un regard puis fronce les sourcils.

— Jouer à quoi ?

— À cache-cache, quelle question !

William sourit et répond :

— Un cache-cache à trois c'est nul, tu ne penses pas ?

— Ça se voit que tu n'as jamais fait de cache-cache, rétorque-t-il.

William rit, s'abaisse à son niveau et je le dévisage. Il a les cheveux bruns en bataille et une mèche lui barre le front. Sa peau a l'air douce comme ses cheveux et je me demande si... Je sors de ma rêverie.

Rewind.

Je déglutis. Une fois, deux fois. J'ai envie de prendre mes jambes à mon cou, j'ai envie de courir loin d'ici, j'ai envie de perdre mon souffle, de partir dans les bois et de chanter à tue-tête et de ne jamais revenir.

Flash. Une main sur mon bras. Des rires masculins, graves, qui soufflent dans mon oreille. Mon cœur bourdonne, je suis terrifiée. La peur me noue le ventre lorsqu'il pose sa main sur ma poitrine et je pleure, je pleure mais personne ne m'aide. Je suis toute seule, je l'ai toujours été.

Retour à la réalité, brusque, intense. J'ai l'impression de revenir d'une longue randonnée.

— J'ai une meilleure idée, lance William. Attendons la fin du repas et faisons un cache-cache avec nos deux familles respectives.

Quel âge ont-ils pour faire un cache-cache ?





_________
Heyy

J'espère que ce chapitre vous a plu :)

Le prochain sera posté demain, comme d'habitude.

À bientôt

💓

𝐋𝐞 𝐉𝐞𝐮 𝐝𝐞𝐬 𝐑𝐨𝐬𝐞𝐬 | TOME 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant