Nous sommes arrivés à l'auberge qui se situe en contrebas de la ville, vue sur le port. Alors que William s'est rendu directement dans la chambre, j'ai volé une bouteille d'alcool à l'accueil que je me suis empressée de cacher sous mon bras. Pour la discrétion, on repassera. J'ai ensuite rejoint la chambre et lorsque j'ai entendu l'eau de la salle de bains couler, j'ai compris que William était sous la douche. Je me suis alors allongée sur un des trois lits et j'ai commencé à boire. Un peu. Beaucoup.
La chambre n'est pas très grande. Il y a trois lits séparés, deux plus ou moins proches tandis que le troisième est contre le mur opposé. J'ai pris celui collé à la fenêtre, comme ça je peux tranquillement me soûler en regardant la mer. À un moment donné, j'ouvre la vitre. Et l'air frais s'immisce alors à l'intérieur, me fouettant le visage comme une dure réalité : il fait nuit et Rewind ne rentrera pas. Il doit être bientôt une heure passée du matin, s'il devait venir il serait déjà là. Je me mets alors à l'imaginer avec une fille, deux ou même trois, accrochées à lui comme des sangsues. Je le vois les embrasser, les toucher et cette idée me bousille le cœur. Une gorgée suffit à me calmer. Puis tout redevient plus net. Il leur susurre des mots doux à l'oreille. Alors, le liquide coule dans ma gorge. Il me brûle la trachée, se noie dans mon estomac. Et pourtant, j'oublie tout le temps d'un instant.
Plus la bouteille se vide, et mieux je me sens. Mes yeux se perdent dans la mer en face de moi, le froid me donne la chair de poule, mes cheveux sont balayés par le vent et mon cœur continue d'être meurtri. Puis, je me ressaisis. J'ignore d'où je tire cette force mais je laisse tout s'échapper. Mes émotions, mes sentiments, mes pensées, mon avenir. Tout me file entre les doigts alors que je commence à éclater de rire. Pile à ce moment-là, la porte de la salle de bains s'ouvre.
William en sort, vêtu d'une simple chemise et d'un pantalon noir ample, les cheveux mouillés, une serviette à la main. Il n'aurait jamais la démence d'apparaître à moitié nu devant moi comme l'a fait Rewind la veille. Je l'entendrais déjà me sortir son baratin de...
— Tu ris toute seule ?
— Non... Loin de là !
J'éclate de rire, ma bouteille à la main, les joues brûlantes. William pousse un petit soupir puis s'en va s'assoir dans son lit, le plus proche du mien. Il ne se soucie pas le moins du monde de moi quand je me lève, comme si mon attitude était normale. Il se contente d'étendre sa serviette sur le support du lit. Puis il passe une main dans ses cheveux, me jette un coup d'œil avant de se glisser dans les draps. Il saisit un livre posé sur la table de chevet, et se plonge dedans comme si je n'existais pas.
— Tu sais, je n'ai plus mal, lancé-je. J'en ai fichtrement marre de me soucier de personnes qui n'en ont que faire de moi.
Sans lever les yeux, il déclare tout bas :
— Tu te soucis juste des mauvaises personnes. Il y a des gens qui tiennent à toi et tu les envoies balader. C'est ton problème.
Je commence à danser sur le parquet, complètement larguée. L'alcool emplit mes poumons d'un sentiment illusoire. Tout ne va pas mieux, bien au contraire. Je m'allonge alors sur le sol, un sourire aux lèvres. William ne m'accorde aucune attention. Je ne suis plus maître de moi-même, je ne contrôle plus mes mots :
— Ce n'est pas aussi facile que ça, tu sais. Il est vrai que je ne t'ai sûrement jamais aimé. Trop gentil, trop attentionné, trop parfait, trop William quoi. Trop là pour moi quand j'avais juste envie de me noyer dans mon désespoir.
À ce moment-là, il pose son livre et me fixe, les yeux vides. Comme si je ne lui apprenais rien. Tant mieux ! Qu'il sache à présent ce que je ressens !
— Je t'ai juste pris pour rendre jaloux Rewind. Je voyais là l'opportunité parfaite de lui faire manger la poussière. Et puis, tu m'aidais à penser à autre chose. La vie était plus facile avec toi. Ô William, mon beau William, je ne serai jamais ta Juliette. Tu es pathétique.
Je m'esclaffe toute seule et mon rire vient emplir la pièce d'une méchanceté amère. Je me remets debout pour tendre les bras, en tentant d'atteindre la plafond. Bizarrement, je me sens mal. Je ne devrais pas ressentir tout ça ! L'alcool aide à oublier, pas à souffrir !
— Tu es ridicule Bianca, lance William d'un ton acerbe. Quand tu auras dessoûlé, tu viendras me dire ça en face.
— Je tiendrai les mêmes propos, Willy. L'alcool m'aide juste à rétablir la vérité.
— Vraiment ? Qu'est-ce que tu dis de ça, alors ?
Il se lève, se dirige tout droit vers la salle de bains. Cherche quelque chose avant de ressortir, une lame de rasoir dans la main, un air déterminé au visage. Je me fige. Éclate de rire. Je parais. Je tente d'exister. Je le regarde me déclarer d'un ton atrocement doux :
— Si je compte autant pour toi, ironise-t-il, tu me laisses essayer ? Une petite coupure pour comprendre la sensation que ça fait. C'est bien ce que tu cherches, après tout ? D'avoir mal pour oublié cette douleur.
Il s'avance, son index me pointe la poitrine. Je baisse les yeux. Mon rire s'estompe.
— La douleur qui t'empêche de dormir, qui te fait faire des cauchemars, qui t'empêche d'être qui tu es, quand tu veux l'être. Merde, alors ! Réveille-toi, Bianca. Ne la laisse pas te détruire de l'intérieur, combats-la. Ne la laisse pas te faire succomber à l'alcool qui te rend odieuse et sans cœur. C'est ce que tu veux être ? J'ai besoin d'être aussi méchant que toi pour te faire comprendre ça ?
— Arrête.
Ma voix faiblit. Mes poings se serrent alors qu'il continue :
— J'ai besoin de changer qui je suis juste pour te faire admettre ça ? M'as-tu déjà vu une seule fois hausser le ton ? Tu crois qu'en buvant un peu d'alcool, en embrassant un mec dans le coin, tu vas t'en sortir ? Tu crois qu'en prétendant tu arriveras à devenir quelqu'un de bien ?
— Tu ne sais pas ce que j'ai vécu ! m'époumoné-je.
Pour la première fois, il hausse le ton. Il me crie dessus. Il m'engueule comme si j'étais une petite fille de cinq ans. Pour la première fois, il n'est plus calme, réservé. Le prince un peu trop gentil, qui lit un bouquin en supportant mes mesquineries. Ses yeux se teintent d'une colère noire et il s'écrit :
— Parce que ça justifie ton comportement ? Cesse de pleurnicher et agis, enfin ! Tu es une femme, tu n'es plus une enfant ! Tu crois qu'Eileen est fière de toi ? Tu crois que Rewind ne profite pas de tes faiblesses pour t'utiliser ? Tu crois vraiment qu'en rentrant à Imir, il ne va pas sauter dans les bras de Victoria ? Tu crois qu'il va annuler tout un mariage, des préparatifs, des mois de fiançailles, un futur royaume à posséder pour toi ? Tu penses sincèrement que tes parents seraient fiers de la femme que tu es en train de devenir ?
La claque part toute seule. Ma main s'abat sur sa joue en même temps que ses propos me heurtent, me déstabilisent. Me broient le cœur. Je suis vide de larmes, mais ma colère est si grande qu'elle risque d'exploser à tout moment. William se fige, me dévisage, assume le coup. Une minute interminable s'écoule durant laquelle nous nous fixons tous les deux dans les yeux. Je n'ose même pas bouger parce que j'ai peur de me déchainer sur lui s'il le fait.
Il a raison. Cette idée s'insinue dans mon esprit, effleure mes pensées et me renvoie sur terre. Il a raison sur toute la ligne.
— Je ne t'ai pas dit toute la vérité l'autre jour, lancé-je, comblant le silence.
Il ne bouge pas d'un millimètre. Ses yeux se voilent d'un sentiment que je ne lui connais pas. Avant même de pouvoir lui annoncer la vérité, il déclare d'un ton calme :
— Lord Herndon ne s'est pas arrêté, n'est-ce pas ?
Sa question n'en est même pas une. Mes yeux lui répondent à la place. Sans un mot, William s'avance et ses bras se referment autour de moi. Ce seul geste suffit à me donner envie de fondre en larmes.
— Je suis désolé, Bianca.
La chaleur de son corps, son menton reposant sur ma tête, sa main me caressant le dos, la façon dont il prononce mon prénom en entier : tout me laisse sans voix. Je n'arrive plus à réfléchir. À penser.
— Moi aussi, William, je suis désolée.
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𝐋𝐞 𝐉𝐞𝐮 𝐝𝐞𝐬 𝐑𝐨𝐬𝐞𝐬 | TOME 2
Romance« Et quand mon monde s'écroule, la seule solution pour moi est de m'accrocher. À n'importe quoi ou à n'importe qui. J'ai eu le malheur de me rattacher à lui. » Un an s'est écoulé depuis les tragiques événements survenus au palais, un an que Bianca...