𝐋𝐞 𝐉𝐞𝐮 𝐝𝐞𝐬 𝐑𝐨𝐬𝐞𝐬 | TOME 2

Chapitre 45

Le réveil a été brutal. Le soleil venait à peine de se lever que Lorcan est venu me réveiller avec des « Votre Altesse, levez-vous ». Je n'ai eu que quelques minutes pour reprendre mes esprits et me rappeler des événements de la veille. Rewind... Il a agi comme si de rien n'était. Après son petit cinéma d'hier, il m'a juste embrassée le quart d'une seconde avant de partir se coucher comme si de rien n'était. J'ai hésité sur le moment entre le haïr de ne pas m'avoir embrassée plus longtemps ou le remercier d'avoir été aussi bref. Heureusement que William dormait d'un sommeil de plomb. Il m'en voudrais déjà s'il savait. J'ai eu, par la suite, du mal à rejoindre les bras de Morphée. Je ne cessais de penser aux événements du lendemain.

C'est un grand jour. C'est aujourd'hui que tout va se jouer. Nous sommes censés rejoindre Ternera d'ici une dizaine de minutes depuis que nous avons repris la route tôt ce matin. Nous avons croisé quelques marchands qui nous ont simplement dit bonjour. J'ai l'impression que le monde continue sa petite vie. Je n'ai pas l'impression que les choses sont en train de changer. À part la disparition d'Eileen et d'Ander. J'ai peur qu'il leur soit arrivé malheur. J'ai peur qu'Ander ne s'en soit pas sorti, qu'Eileen subisse la même chose que j'ai vécu l'an passé. J'ai peur qu'elle tombe entre les mains des plus mauvais.

C'est aujourd'hui que tout va se jouer. Aujourd'hui que nous devons récupérer ma sœur et Ander, aujourd'hui que la bataille commence. Nous devons mettre un plan en place avec l'aide de Lorcan. Il connaît les passages souterrains mieux que quiconque, il nous sera d'une aide précieuse. Il nous a déjà confié que la plupart des souterrains étaient inutilisés et qu'on devrait y accéder facilement pour éviter les gardes. Ma tête est toujours mise à prix. Ce matin, Lorcan m'a tendu un chaperon qu'il avait récupéré à Lutheryan. Un chaperon d'une laideur abominable mais cela devrait faire l'affaire pour se camoufler dans la foule.

— C'est bizarre, je n'ai pas l'impression que la ville soit en feu et en cendres.

Rewind plisse les yeux et dévisage le dos de Lorcan, l'air mauvais. Il a raison. Lorcan nous avait vendu la ville comme une catastrophe à sauver. Ecclosia brûle, le pays va mal. De nombreuses révoltes ont eu lieu. Où sont ces révoltes ?

Mon regard balaie l'horizon, le spectacle qui s'offre devant moi. La ville, toujours encerclée de remparts, laisse entrer les voyageurs et marchands par sa porte principale. Celle-ci est gardée par deux gardes, l'un comme l'autre inutile puisqu'il suffirait que Rewind ou Lorcan descende du charriot pour les abattre. Lorcan reste muet et Rewind me lance un regard plein de sous-entendus. William, lui, a l'air absent. Ses yeux sont attirés par des mouvement en forêt. Des mouvements que je remarque. Que se passe-t-il ?

— Les révoltes ont dû cessé depuis notre départ. Depuis la mort du capitaine de la garde royale, les choses ne vont pas en s'améliorant. Vous le découvrirez bientôt.

Soudain, le temps se fige. Rewind plante ses yeux dans les miens un court instant qui suffit à me faire tilter. Petit à petit, les pièces s'emboitent dans mon esprit. Tout me paraît plus clair, limpide. Puis, le temps s'accélère. Rewind se jette sur Lorcan en une seconde à peine, sortant un petit couteau de l'une de ses bottes. Il saisit l'homme contre lui, son couteau serré contre sa gorge.

— Qui es-tu ? grogne Rewind.

William ouvre la bouche comme pour dire quelque chose mais se ravise. Il se fige d'incompréhension. Moi-même, j'ai du mal à saisir l'ampleur de ce qui est en train de se passer.

— Je ne le répèterai pas deux fois, qui es-tu ? s'impatiente Rewind.

Pour souligner ses propos, il fait pression de son couteau sur la gorge de Lorcan.

— Je m'appelle Lorcan, je suis...

— Le capitaine de la garde royale ? Tu nous as déjà sorti ton baratin la première fois. Qui es-tu ? Un espion, un traître ?

Soudain, le visage de Lorcan change. Il se noircit. Ses yeux ne me semblent plus humains. Sa mâchoire se crispe et un sourire vient orner ses lèvres. Il pose son regard sur moi et éclate de rire. Même le ton de sa voix change lorsqu'il dit :

— Je suis loin d'être un espion. Je suis celui pour qui tu devras bientôt te prosterner.

— Je vais te trancher la gorge, menace Rewind.

Puis, je comprends enfin. Lorcan connaissait la route par cœur. Lorcan s'est présenté comme le capitaine de la garde royale. Lorcan était le seul à avoir un contact ici quand nous étions incapables de nous sauver nous-même. Lorcan a battu tout une armée de soldats à lui seul. C'était une mission suicide. Si des soldats ont fui, le reste était là pour figurer dans le plan. Comment aurait-il pu réussir à rejoindre Imir si le pays était réellement à feu et à sang ? Lorcan n'est pas un espion. C'est ce que m'indiquent ses yeux, son expression, son visage. Ce regard que je ne connais que trop bien et qui m'a paralysée deux semaines entières l'année dernière. Je comprends enfin.

— Parle ! s'écrie Rewind.

— Ta petite protégée devrait le savoir... jubile Lorcan en se léchant les lèvres.

— Il est le fils de Lord Herndon.

— Alors je vais me faire un plaisir de lui éventrer les poumons.

Son regard se fait menaçant alors qu'il s'apprête à lui trancher la gorge. Mais Rewind n'a pas le temps de s'exécuter.

— Bianca, à terre !

William me pousse si fort que je suis projetée en-dehors de la charrette. Mon dos vient heurter lourdement le sol alors que je vois une flèche fuser au-dessus de ma tête. Là où quelques secondes auparavant j'étais assise. Le corps de William fait barrière. Mon cœur ne cesse de battre la chamade. L'adrénaline coule dans mes veines et vient me nouer la gorge. Je suis terrifiée. Et furieuse. Comment avons-nous pu être assez stupide pour le croire ? Il était le seul à ne pas vouloir changer le plan pour Eileen et Ander ! Il nous a menés en bateau depuis le début. Et nous avons tous été tellement naïfs.

Les cris de Rewind me force à me relever. Debout sur la charrette, il se bat avec Lorcan. Muni d'une simple épée, le visage de son adversaire est déformé par la colère. Le sang goutte sur le coin des lèvres de notre ennemi. Rewind est plus fort. Il le battra. Il avance, l'air confiant, brandit son épée et menace Lorcan. Il l'abat à plusieurs reprises sur lui. Lorcan évite, pare, se protège comme il peut. Rewind est plus fort. Rewind est meilleur. Les techniques d'Imir sont les plus performantes. Lorcan va mourir d'ici quelques secondes. Je le sais, nous le savons tous.

Pile au moment où Rewind va pour perforer l'estomac de Lorcan de son épée, il se fige. Son visage se crispe de douleur, de stupéfaction. Son épée retombe lourdement dans la charrette alors que Rewind tombe à genoux, la bouche ouverte, les yeux figés. Une flèche vient de lui transpercer le dos.

Je n'entends pas mon hurlement. Tout ce que je sais, c'est que mon monde a cessé d'exister. Je jurerais sentir la terre trembler sous mes cris.

— Je te l'avais bien dit. Tu te prosternes déjà devant moi.