33. Je chanterai pour toi (Stella)

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Finalement, j'ai obéi au texto de mon père.

Je monte les escaliers vers mon appartement. Je devrais dire « chez moi », pourtant il me semble que j'ai quitté les lieux il y a un million d'années. Je me sens étrangère en ces lieux, ce qui n'est pas si étonnant que cela.

J'ai grandi sans voir mon père qui était toujours sur les routes pour son travail. Au décès de maman, il m'a envoyée en internat pour que je ne sois pas laissée à moi-même, j'avais tout juste onze ans. C'était une petite école réservée aux filles, le bâtiment était éloigné de tout et perdu dans les montagnes. A force de passer mon temps avec des filles comme moi, j'ai fini par comprendre que la vie de famille comme dans les séries à la télé, c'est une image toute faite, comme un rêve inatteignable. J'en voulais à mon père de m'ignorer comme ça.

Heureusement j'avais des amies et nous nous reconstruisions une famille différente et joyeuse. J'étais heureuse à ma manière, même si je répondais aux professeurs parce que j'aime contester l'autorité. Tout cela n'était qu'un jeu entre mes amies et moi.

Qui arriverait à énerver la première la prof d'histoire-géo ? Qui cacherait le cahier de texte de la classe le plus longtemps ? Quelle chambrée oserait rallumer la lumière après le couvre-feu ? Combien de filles pourraient se rejoindre sur le toit de l'école les mercredi soirs ? Qui irait voler les sujets d'examens dans le bureau du proviseur ? C'était l'escalade des paris et cela meublait nos journées ennuyeuses, entre les études et nos professeurs aigris.

Ça n'était pas très méchant, c'était juste nos délires. Entre filles, nous n'avions pas de secrets, même s'il y avait nos disputes et quelques querelles de groupes, au fond c'était de bonne guerre. Nous étions toutes solidaires. C'était mon microcosme bruyant et lumineux. A force de dormir, de manger ensemble, de porter les mêmes uniformes, nous étions devenues des sœurs plus que des amies.

Parfois des lettres venant du bout du monde nous parvenaient. Des colis avec des souvenirs, des gâteaux ou des cadeaux nous rappelaient qu'à l'extérieur des parents, des oncles ou des cousins vivaient dans une autre réalité. Je ne me sentais pas concernée, même si les livres envoyés par papa me faisaient plaisir. Je ne le connaissais pas vraiment et l'idée qu'un jour nous pourrions vivre ensemble était un espoir que j'avais abandonné depuis longtemps. Ma vie était là, entre les montagnes enneigées et mes copines de dortoir.

Le jour de mes quatorze ans, j'ai été convoquée chez la directrice. Je m'attendais à ce qu'on me livre un colis différent et plus grand pour cette occasion. Mon père avait dû penser à moi pour mon anniversaire. C'est donc avec curiosité et pleine d'espoir que je suis entrée dans le bureau envahi de dossiers scolaires de la responsable de l'internat. Mais la désillusion a été totale. Elle m'a expliquée que mon père allait se remarier. Pour un veuf, c'était une bonne nouvelle, non ? J'allais en outre avoir un frère d'ici les prochains jours.

« Une toute nouvelle vie de famille en somme, félicitations ! » m'a lancé la veille directrice, assise confortablement dans son fauteuil en cuir. Elle a fait glisser vers moi une enveloppe rectangulaire sur son bureau. En l'ouvrant, j'ai vu un billet : un aller en avion vers Paris. Pour le lendemain.

— Faites vos valises tout de suite ! m'a-t-elle ordonné, alors que je ne comprenais pas ce qui se passait.

Mais, et mes copines ? Je n'avais pas le temps d'organiser une soirée d'adieu, pas le temps de comprendre ce qui m'arrivait. Comment allais-je faire pour vivre avec un père qui ne m'avait jamais parlé plus de dix minutes d'affilée ? Qui était sa nouvelle femme ? Et puis, un frère ? Quel âge avait-il, était-ce un bébé dont je devrais m'occuper ?

Je ne voulais pas de cette nouvelle vie. Ma place était ici. Pas ailleurs. J'avais peur ! Et si je n'avais rien à dire à mon père, et si je n'avais pas ma place dans sa nouvelle famille ? Paris, je n'y ai jamais vécu. Et où serait mon école ? Je ne voulais pas partir de l'internat !

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