54. Chez Matthias (Stella)

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« Tu n'as rien mangé, Théo. Pourtant, tu aimes les pâtes, s'étonne M. Duval.

— J'ai mangé plein de glace et même que j'ai goûté celle de Blanche. Mais pas celle de Rob parce que j'aime pas le chocolat noir.

— Rob et Blanche sont amis ?

Matthias coule un regard vers moi, je n'ai pas faim non plus, pourtant la sorcière n'a pas accepté que j'achète de glaces. Je pose ma joue dans la paume de ma main et soupire en haussant les épaules. Je ne vais pas raconter la vie de Blanche à son patron, je ne suis pas comme ça.

Matthias remonte ses lunettes sur son nez en esquissant un demi-sourire. Dans sa tête, les idées doivent fuser dans tous les sens, je le connais.

— Est-ce que vous manigancez quelque chose ? je demande.

— Qu'est-ce qui te fais dire ça ?

— Vous avez fait ce truc, là.

— Quel truc ?

— Remonter vos lunettes en bougeant un peu la tête sur le côté, c'est votre air « j'ai un plan ».

Il lève un sourcil, pris sur le fait, et rit un peu en levant les mains.

— Tu m'as cerné. Autre chose à me dire ?

— Changez pas de sujet, je rigole.

— Il va bien falloir, car j'ai eu un appel de ta prof de maths. Il paraît que tu as été collée ?

Je me raidis sur mon tabouret. Mince, ça m'était sorti de la tête ! Pourquoi faut-il que M. Duval soit pote avec tous mes profs, c'est un cauchemar.

Tandis que Théo part jouer dans sa chambre, j'aide M. Duval à débarrasser et je lui explique la situation. Il ne m'interrompt pas et écoute mon histoire jusqu'au bout. Ce que j'aime chez lui, c'est aussi le fait qu'il ne me juge pas. C'est comme avoir une oreille attentive, je n'ai pas à me censurer avec lui. Prise dans mon récit, je lui raconte même mon entrevue avec Jay, le fait qu'il sache que je suis la sœur de Cam et même qu'il a confirmé son renvoi du lycée privé.

-— Je ne crois pas qu'il vous en veuille pour ça, j'ajoute.

— Jay peut m'en vouloir pour un millier de raisons, il soupire. J'étais vraiment trop sûr de moi à cette époque. C'était mon premier poste de professeur et j'ai cru... j'ai cru que j'avais raison envers et contre tout. J'ai fait preuve d'un manque d'empathie total, envers Jay et même mon frère Rob. Cam, lui aussi, j'aurais dû l'écouter davantage.

— Est-ce que c'est pour ça, je demande en essuyant les assiettes qu'il lave, que vous me donnez toute votre attention et que vous vous occupez de moi ? Vous le faites par culpabilité pour Cam ?

— Au début, oui, avoue-t-il sans détour. Maintenant, je le fais parce que tu es une personne qui m'est chère.

Je pose les assiettes dans un des larges tiroirs de la cuisine, puis m'attaque aux verres tandis que M. Duval lave les couverts. On pourrait tout mettre dans le lave-vaisselle, mais depuis que je suis arrivée ici, on fait cela tous les deux et c'est un peu un prétexte pour rester ensemble et discuter de nos journées.

— Je ne vous ai jamais dit merci.

Sans lever les yeux de sa vaisselle, Matthias sourit légèrement. Il est un peu gêné, ses oreilles rougissent légèrement sous ses cheveux noirs. Le cliquetis que font les couverts et les casseroles arrosées d'eau couvrent notre douce gêne. S'aimer, parfois, se fait en silence. Matthias est ce genre de personnes introverties pour lesquelles les mots sont parfois superficiels. Avec mes bavardages sans fin et les cris de Théo, nous emplissons sa vie tranquille d'une heureuse cacophonie.

— Demain, je fais une soirée pour toute l'équipe, annonce-t-il de but en blanc. Nous fêterons la fin de notre projet. Jay est invité, ajoute-t-il.

Je vois... il fait un effort pour apaiser les tensions. C'est sympa de sa part.

— Il viendra avec Roxanne, je suppose. Vous devez être content, je complète.

— Pardon ? il coupe l'eau.

— La voisine est votre amie, n'est-ce pas ? Elle m'a dit qu'elle avait été en classe avec vous.

— C'était presque une autre vie... il se gratte la nuque et levant les yeux au plafond. Laisse le passé où il est, c'est mieux pour tout le monde. Je te propose par contre, de revoir la chimie pour t'aider à te concentrer sur ce qui est important.

Je gonfle mes joues :

— Ha, ça ne se fait pas !

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