38. Sortir la tête de l'eau (Stella)

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Je me sens plus légère. J'étais un peu stressée de faire le chemin avec lui, j'ai meublé les blancs pour alléger l'atmosphère et c'est devenu une vraie conversation.

Je n'avais pas osé parler librement à quelqu'un depuis si longtemps, mais étrangement avec Jay, tout est sorti d'un coup comme si je ne pouvais plus m'arrêter. C'était un flot de paroles sans fin et si je n'avais pas dû aller en cours, on aurait pu continuer encore longtemps. Être avec Jay est aussi facile que de discuter avec mon pirate. J'ai encore du mal à réaliser qu'ils ne sont qu'une seule et même personne, comme quoi les apparences sont trompeuses.

Cependant, il n'a pas mentionné ce sujet et je me demande s'il sait qui je suis...

Je dois le lui avouer dès que possible, sinon ce serait hypocrite de ma part. Et je ne veux pas mentir, cela crée toujours un malaise dont on ne peut plus sortir.

Je regarde le ciel par la fenêtre de ma salle de classe. Cam, mon frère, tu sais toi où mènent les secrets et à quels points ils nous rendent malheureux. Je ne veux plus me noyer dans les non-dits et les faux semblants. Je veux sortir la tête de l'eau, respirer librement, dire tout ce qui me pèse, ce qui me semble essentiel et même le superflu. Peut-être qu'il est temps d'affronter ma peine et de surmonter le deuil que je porte : le tien et celui de ma vie d'avant.

La seule personne qui ne m'a pas jugée jusqu'à présent, c'est M. Duval. Il prend beaucoup de place dans mon existence et je l'adore, j'espère que mon amitié avec Jay ne va lui faire de peine. J'ai l'impression qu'ils ne s'apprécient pas du tout et je ne sais même pas pourquoi.

Tout à ma réflexion, j'écoute la prof de biologie d'une oreille distraite. Je repense à ma rencontre avec Matthias, c'était comme si Cam l'avait envoyé à ma rencontre.

Tu étais parti il y a tout juste un an, Cam, et je t'en voulais tellement. Le silence à la maison était sourd et dense, j'étouffais. Les parents ne se parlaient plus, chacun dans son deuil. Je ne trouvais pas ma place, ce n'était plus un foyer, c'était trop pesant. J'étais déjà une élève à problème car je séchais les cours pour me balader en ville, maintenant je devenais le soucis numéro un de deux parents en manque de reconnaissance. Leur unique fierté, c'était toi Cam : le bon élève, le fils modèle. J'étais juste une pièce rapportée, maintenant, j'avais toute l'attention de ces adultes et je ne la voulais pas tant que cela.

Je me souvenais des mélodies que tu jouais parfois sur ta guitare entre deux révisions. Je les fredonnais plus par réflexe que par volonté. Avant, mes journées s'allongeaient sans que j'ose rentrer chez moi. Parfois, nous nous retrouvions devant ton lycée, puis nous allions dans un parc de la capitale. Nous ne nous parlions pas, je me contentais de t'écouter jouer sur cette guitare. C'était ta manière de t'ouvrir à moi. Pour nous, les mots étaient superflus.

Je ne sais pas pourquoi, j'avais voulu y retourner, alors que j'avais évité ce parc ces dernières semaines, certainement de crainte de tomber sur mes souvenirs avec toi.

La pluie fine d'avril avait peut-être eu pitié de ma solitude car elle avait décidé de me tenir compagnie. J'étais trempée de la tête aux pieds. Toutes ces pelouses humides autour de moi aspiraient ma mélancolie. A l'instar de ces arbres centenaire, pourrais-je prendre racine ici et vivre du souffle de l'air et des eaux du ciel ?

Soudain, une mélodie au loin. Ta mélodie.

Parfois je fredonnais sans m'en rendre compte, mais pas en cet instant : mes lèvres étaient scellées.

Il me fallut quelques instants pour comprendre que ce refrain était réel et pas sortie de mon imagination.

Il y avait quelqu'un d'autre.

Le vent frais me fit trembler. Dans une vague torpeur, je vacillai à la vue d'une silhouette courbée, insolemment assise sur un banc à quelques mètres de moi. Ses cheveux noirs un peu longs cachaient ses oreilles. Penché sur sa guitare, il était rentré en lui-même et semblait contemplé son propre univers.

Je me redressai, inspirant pour me donner du courage, mes jambes en coton menaçaient de se dérober.

Ce morceau... C'était celui que mon frère jouait souvent.

— Cam ? avais-je murmuré à quelques pas du musicien.

C'était impossible, je le savais.
Impossible car Cam nous avait égoïstement quittés...

La musique s'arrêta et mon cœur avec, l'espace d'une seconde. J'avais mal et je ne savais pas quoi faire.

Le garçon leva son visage vers moi. Sous sa frange, d'énormes lunettes un peu embuées. Il passa une main dans ses cheveux et la buée s'effaça un peu pour laisser place à des yeux bleus, presque noirs. Il était plus âgé que moi.

Un adulte ?

Moi, je voulais voir Cam. Je désirais tant le revoir.

Je respirai difficilement :

— Tu me manques, dis-je tout bas. Tu me manques tellement.

Je parlais à quelqu'un qui n'était plus là. Le musicien me regarda un moment, puis posa sa guitare. Ce que je disais ne devait avoir aucun sens pour cet étranger.

Je baissais aussitôt les yeux, ne voyant même plus le bout de mes chaussures, brouillée par les larmes que je retenais.

— Qui êtes-vous, me méfiais-je. Comment connaissez-vous ce morceau ?

J'en voulais à cet inconnu de redonner vie à mes souvenirs.

— Je m'appelle Matthias.

Après un moment, je sortis de mon mutisme :

— C'est une composition de mon frère. Comment la connaissez-vous ?

Il se décala sur le banc pour me faire de la place. Qu'il pleuve n'avait pas l'air de le déranger.

— J'étais le professeur de Cam, annonça-t-il. Nous nous sommes déjà croisés, Stella. Tu ne t'en souviens pas ?

Son enseignant ? Il avait plus l'air d'un étudiant à l'université que d'un prof.

Doucement, je pris place sur le petit banc de bois. Sous la petite pluie fine qui s'ennuyait, il a continué à jouer. Parfois, je lui parlais de Cam. C'était le seul à me laisser lui en parler. Il ne me jugeait pas d'être ici plutôt qu'en cours. Il ne posait aucune question qui me gênait. Il était gentil et c'était bien le seul.

C'est comme ça, que je pris l'habitude de me rendre plus souvent au parc, pour avoir l'espoir de le revoir. Parfois, il venait avec sa guitare et m'apprenait des accords, d'autres fois, il était avec son fils Théo. Nous nous apprivoisions doucement. Parler de Cam restait douloureux, avoir une présence près de moi était tout ce que je demandais. Je n'ai jamais posé de question à Matthias. Je n'en avais pas besoin. J'imaginais que Cam m'avait envoyé cette personne pour me sortir de ma solitude par intermittence.

Matthias savait que je séchais, que j'avais du mal en cours. Il prit donc le temps de me faire réviser chaque fois que nous nous voyions et avec le temps, nos rencontres devinrent planifiées et nos discussions firent place à des cours de maths, de bio et de chimie. Je faisais l'école buissonnière au sens littéral : j'étudiais au parc.

Mes parents ne savaient plus me gérer. Cela a duré presque une année. Et un soir où j'étais particulièrement déprimée, j'ai débarqué chez Matthias sans crier gare puis j'ai commencé à vivre chez lui. C'était la nuit où j'ai sauvé Jay de la noyade. C'était le soir où Cam aurait dû avoir dix-neuf ans.

Dis Cam, si tu étais encore avec moi, combien de nouvelles mélodies aurais-tu créées ? Tu sais, j'essaie de jouer une de celles qui étaient cachées dans tes tiroirs, mais j'ai encore du mal.

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On en apprend plus sur Matthias 😉
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