12. Pirates en bande (Jay)

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« T'as accroché ton sourire commercial pour la soirée ? je demande à Rob au moment où nous prenons place sur une des banquettes de ce bar branché.

La soirée débute bien. Ici, la décoration est totalement perchée : tout est « végétalisé », depuis les tapis simulant de l'herbe, les fauteuils et les tabourets en faux troncs d'arbres coupés, jusqu'au plafond de branches d'arbres entrelacés simulant une sombre canopée d'où la lumière de quelques guirlandes filtrent entre des guirlandes de lierre pour nous laisser penser à la présence illusoire de lucioles perdues dans cette oasis de verdure en plein Paris.

— Travailler pour l'entreprise familiale suppose quelques contraintes, me répond mon meilleur ami. Mais on ne va s'en plaindre, si cela nous permet de sortir faire la fête.

De fêtard, il en la réputation et moi aussi par la même occasion.
Depuis son baccalauréat, Rob fait une pause dans ses études alors que je refais mon année. Son père lui met une pression folle pour qu'il en apprenne le plus possible sur l'entreprise familiale.

Cette année, il joue à la fois au garçon de course, au stagiaire aux finances, petite main au service marketing et assiste à toutes les réunions du conseil d'administration dans un petit coin discret.

Il aurait mieux fait d'aller en cours, au moins il aurait été loin de toutes ces obligations. Mais lui et moi savons que ce n'est pas si simple. Nous survivons. Moi avec ma colère, lui en faisant semblant. Son sourire factice me donne envie de le taper : un vrai robot qui ferait risette sur commande. Comment peut-il accepter cette situation constituée de fausses relations, de faux amis, de faux sourires. Il fait semblant d'exister, sa survie est à ce prix.

— Les mannequins de l'agence vont arriver, soit sympa avec tout le monde, ok ? insiste-t-il.

— Personne ne peut être aussi sympa que toi, je râle.

— Plus de bain de minuit, on est d'accord ?

— Argh, Roxanne t'a mis au courant de mon plongeon dans la piscine, hier soir ?

— J'ai mis plus d'une heure à la calmer, tellement elle a peur pour toi. Est-ce que je dois m'inquiéter aussi ?

— J'ai glissé, ça arrive !

Il détourne le regard.
Il va faire semblant d'y croire par gentillesse.
Le silence nous prend en otage quelques secondes. Il y a des non-dits plus violents que des paroles de haine.

Une silhouette trouble soudain mon champ de vision. Une robe rouge et un chignon noir. Elle s'assoit près de moi.

— Je t'ai aperçu de ma table, me susurre-t-elle à l'oreille. Je t'offre un verre ?

Rob m'interroge du regard pour s'assurer qu'elle ne me dérange pas. Je hoche subrepticement la tête pour lui signifier que je suis dans un bon jour.

Soulagé, il se renfonce dans son canapé et consulte ses derniers messages sur son portable.

Je me tourne vers ma belle inconnue qui ne se démonte pas devant mon silence. Elle enchaîne la conversation comme si nous nous connaissions depuis longtemps, sans aucune gêne visible.

Elle est aussi directe que belle. J'aime les gens qui savent ce qu'ils veulent. Son sourire est un peu froid, déterminé. J'ai toujours été fasciné par les femmes froides, peut-être parce qu'avec elles je peux l'être en retour : pas d'implication émotionnelle, c'est tellement plus simple.

— Sinon, on peut aller discuter dans un endroit plus calme ? je propose.

Elle doit avoir la vingtaine, ses épaules se haussent et ses lèvres glossy dévoilent son sourire.

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