On devait se dépêcher, mais nous prenons notre temps jusqu'au lycée.
Au début, nous marchons en silence, un peu gênés.
— Merci, Jay, dit-elle brusquement. Sans toi, je ne sais pas comment j'aurais fait.
— Tu aurais manqué plus de cours, je suppose.
Elle me sourit un peu timidement en remettant une mèche rousse derrière son oreille. J'aime sa manière de me regarder droit dans les yeux. Dommage qu'elle détourne le regard si vite.
— Sais-tu que rien qu'en France, plein d'élèves manquent les cours à cause de la précarité menstruelle ? continue-t-elle. Tu ne trouves pas ça dingue de ne pas pouvoir aller à l'école simplement pour cela ? D'ailleurs, je pense que les écoles devraient avoir des distributeurs de produits d'hygiène féminin gratuits dans les toilettes. Mais bon, ce n'est pas l'unique soucis, il paraît qu'il y a plein de glyphosates dans la plupart des serviettes et tampons, alors...
Stella parle très vite, j'ai l'impression qu'elle essaie de meubler les vides. Elle est peut-être un peu nerveuse avec moi ?
— Je n'avais jamais entendu parler de ça, dis-je.
— T'y connais rien, John Snow !
Je ris :
— Tu me sors une réplique de Game of Thrones ? remarque avec tes cheveux roux, tu ferais une sauvageonne idéale.
— T'es pas assez beau pour être John Snow, par contre.
— Aïe, je m'offusque. T'es sûre ? Et si je me laissais pousser des boucles soyeuses ? je minaude.
Elle rit et tourne enfin son visage bardé de taches de rousseurs vers moi :
— Sérieusement, le glyphosate est un herbicide pourtant on le retrouve dans les serviettes hygiéniques accompagné d'autres substances aux effets cancérogènes ou considérés comme des perturbateurs endocriniens. Evidemment, quasiment aucun grand producteur de ces dispositifs n'indique les composants sur les paquets. Il n'existe aucune réglementation sur le sujet en France. Effarant, non ?
Je me gratte l'arrière du crâne, j'ignore tant de choses !
— Nos cours de bio parlent juste des cycles et de reproduction, je ne savais pour tous ces produits, j'admets.
— Nos cours ne nous disent pas tout, rien qu'au sujet du clitoris par exemple, elle s'écrie.
— Du... je tousse.
— Du cli-to-ris, elle s'amuse de ma gêne en articulant le mot (je vais virer au cramoisi et franchement je ne suis pas du genre à être mal à l'aise). Actuellement, seul un manuel de SVT sur les 8 existants représente correctement le clitoris. J'ai lu que un quart des personnes de 15 ans qui en sont doté ne savent pas qu'elles en possède un et 83% ignore sa fonction érogène* (Note :*rapport du Haut conseil à l'égalité sur l'éducation sexuelle rendu public en juin 2016.) Non, mais tu te rends compte ? Cela veut dire que les gens ignorent leur propre corps. C'est un peu comme si tu ignorais ton...
— Ok, j'ai compris, je l'interromps en montrant les paumes de mes mains pour lui dire stop. C'est quand même bizarre que tu ne connaisses pas ton propre corps. Moi, je serais hyper curieux sur le sujet.
— Je pense que nous sommes habitués à cacher nos propres corps. A ne pas en parler. Même pour nos règles, dans les publicités, le liquide qu'on verse sur les serviettes hygiéniques est bleu. Bleu ! Franchement, on n'est pas des schtroumpfs.... Comme le clitoris est un organe essentiellement interne, il est difficile de le connaître sans avoir accès à un manuel médical. En gros, toi comme moi souffrons d'analphabétisme sexuel.
— Carrément ? je me gratte la joue. Vu que je suis moins concerné, ça me paraît moins grave dans mon cas.
— Fatal Error ! elle fait une croix avec ses avant-bras. C'est là que tu te trompes lourdement : pourquoi l'appareil génital masculin serait-il plus digne d'être connu que celui des femmes ? Cela crée une inégalité dans la représentation des deux sexes et donc c'est une inégalité dans l'éducation.
Je réfléchis en fronçant les sourcils :
— Es-tu en train de me dire que notre éducation est sexiste ?
— Oui, elle hoche la tête. On ne devrait pas cacher le corps des femmes. En plus en cachant quelque chose on en fait aussi une source de honte, comme si c'était interdit d'en parler.
— De honte ? Avoir ses règles, c'est quand même naturel.
— Mais moi, j'ai eu honte avant que tu ne m'aides, tu ne te rends pas compte. Je connais un prof qui a fait une remarque à une camarade parce que son jogging était tâché et il lui a dit d'aller se laver, que c'était sale. Tu trouves ça bien de faire stresser de jeunes personnes pour une fuite qui ne se contrôle pas ? Ce n'est pas comme se retenir d'uriner : quand ça coule c'est inévitable. Il y a aussi des lycéennes qui manquent les cours à cause de la douleur. Je pense que si tout le monde était plus bienveillant et au courant, ce serait déjà moins compliqué à assumer. Mais bon, cacher des informations est toujours une décision politique, cacher le corps des femmes c'est refuser de le montrer tel qu'il est : comme quelque chose de naturel et normal.
— Politique, carrément ? je m'amuse de son ton concerné. Discuter avec toi est assez intéressant.
— Je t'amuses ? Je suis sérieuse, pourtant ! elle s'offusque.
— Ce n'est pas ce que tu dis, c'est la manière dont tu le dis : sans prendre de pincette ni te soucier de la manière dont les gens vont prendre les informations. Tu es... comment puis-je dire ça ? Tu es tellement directe que cela en est déstabilisant. Je n'ai jamais vu une personne aussi honnête et sans filtre.
— « Sans filtre », pourquoi tout le monde me dit ça ? elle soupire en contemplant le ciel.
Soudain, la sonnerie du lycée retentit. Elle me fait un signe de la main, et file dans les couloirs. Quel drôle de petit personnage...
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Enfin, ils se parlent !
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Mermaid Online
JugendliteraturStella est la podcasteuse "Petite Sirène", elle ignore que le bad boy du lycée est son fan numéro 1. En sauvant un inconnu de la noyade avant de s'enfuir, Stella ignorait qu'elle tomberait sur lui au lycée. Il semble ne pas la reconnaître, mais est...