56. Peigne ou fourchette ? (Jay)

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Je me souvenais de cet escalier en fer forgé pour l'avoir aperçu du jardin de Roxanne, j'ai donc quitté le salon et fais le tour par l'extérieur. Maintenant, je comprends pourquoi j'entendais si bien les chansons de Stella depuis mon garage, sa chambre est juste en face.

« J'ai l'autorisation d'entrer dans ta chambre ? je demande tandis qu'elle ôte de ses cheveux sa petite serviette blanche avec laquelle elle les séchait énergiquement.

Une masse rousse et bouclée surgit dans mon champ de vision. On dirait un petit mouton. Je rigole, c'est trop mignon.

— Te moque pas ! elle hausse le ton en me donnant un petit coup de poing sur l'épaule. Les cheveux bouclés, c'est comme ça.

Je lève les mains en l'air, comme pour me rendre, et je continue à sourire.

Stella se décale pour me laisser entrer, j'aperçois sa guitare posée contre un mur, un petit lit dans la sous-pente et son bureau dévoré par les livres et les feuilles doubles à grands carreaux.

— Tu travailles dur.

Je grimace en reconnaissant l'écriture de Matthias dans la marge.Elle s'assied sur son lit, ses pieds se balancent dans le vide.

— Mais ça ne suffit pas, soupire-t-elle. Je ne sais pas si je vais continuer à aller en classe ou prendre des cours par correspondance l'an prochain pour passer le baccalauréat. Ce serait plus facile pour tout ce qui est contrôle continu, parce-que, au train où vont mes notes, je suis sûre de redoubler et je ne supporterais pas de faire une année supplémentaire au lycée dans ces conditions.

— Comment arrives-tu à avoir tout juste avec Matthias et pas en cours ? je constate en voyant les notes qu'il a mise sur chaque copie — presque cent pour cent de réussite.

Stella baisse les yeux et ses mains se tordent l'une l'autre.

Je ne vais pas insister pour avoir une réponse si cela la gêne, mes yeux se posent sur un étrange objet sur une étagère. Je le prends et le retourne dans tous les sens. Il y a quatre dents et une petite poignée.

— C'est quoi cette fourchette géante ? je demande, ahuri.

— C'est un peigne pour cheveux bouclés.

— Non, pas possible : c'est une fourchette en plastique pour un géant, ça. Ah ! je me tape sur le front : c'est comme dans le Disney quand la petite sirène croit que la fourchette est un peigne.

— Mais je te dis que c'est un peigne ! elle tente de me saisir l'objet que je tends au-dessus de ma tête. Tu ne vas quand même pas me faire du mansplaining, Jay. (note de l'auteure : le mansplaining, contraction de « man » et « explaining », est lorsqu'un homme explique à une femme quelque chose qu'elle connait ou maîtrise déjà mais sur lequel il prétend à tort avoir plus de légitimité qu'elle).

— Non, je plante le peigne dans ses cheveux, je te taquine, c'est plus drôle que d'être sexiste. Dis-donc, ça tient bien.

— Crétin ! elle boude et repose l'objet sur l'étagère.

— Pour m'excuser, je voulais te donner ça avant de me faire encore arroser par la petite terreur blonde qui te colle toujours.

Je lui tends un petit paquet bleu. Bien qu'un peu méfiante, elle finit par déchirer l'emballage. C'est un carnet.

— C'est pour que tu continues à écrire tes chansons, ne le perds pas celui-là. Je ne voudrais pas qu'un crétin puisse lire tes pensées.

— Un crétin dans ton genre ? elle caresse la couverture et sourit.

— Ouais, un crétin dans mon genre. Ce sont les pires, ceux-là.

Je crois qu'elle me dit merci, mais je n'en suis pas sûr car tout ce que je vois c'est son sourire qui fait battre mon cœur un peu trop fort.

Je me racle la gorge pour reprendre mes esprits et m'apprête à partir, quand je passe devant sa guitare :

— La chanson avec la mélodie Cam, tu la rechanteras, n'est-ce pas ?

— Si tu peux accepter de l'écouter.

Je donne un signe de tête presque imperceptible.

— Alors ce sera notre chanson à tous les trois, Cam, toi et moi, elle me sourit timidement.

Mon ami, comment as-tu pu quitter cette terre et laisser autant de monde te pleurer, je t'en veux d'avoir abandonné Stella. Tu aurais dû lui dire la vérité. Cependant, je ne peux pas tout dévoiler ainsi, je ne sais même pas si j'en ai le droit. Cela implique d'autres personnes, dont Rob. Il faut que je lui en parle avant de prendre une telle décision.

Nous rejoignons les autres au rez-de-chaussée, Roxanne taquine Matthias au sujet de sa venue au gala où sera présenté son projet. Lorsque j'aperçois son verre vide et ses joues rouges, je comprends qu'elle n'en est pas à sa première coupe.

— Blanche sera ma cavalière, annonce Matthias.

Je sens une tension énorme entre Roxanne et ce type. Rob, quant à lui, quitte immédiatement les lieux sans que j'aie le temps de réagir. Bon sang ! Qu'est-ce qui se passe ?

Roxie se lève aussitôt, je la rattrape quand elle passe à côté de moi à la poursuite de Rob.
Pas la peine de jeter de l'huile sur le feu, je ne comprends pas assez bien la situation. Je murmure à Roxanne que je m'occuperai de Rob après. Tel que je le connais, son frère aîné essaie de l'énerver. Mieux vaut ne pas réagir à chaud. Et puis, je dois parler à Rob au sujet de Cam aussi. Il faut que tout le monde soit calme sinon ça va dégénérer, le mieux est de rentrer maintenant.

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