11. L'appel du large (Stella)

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Le proviseur tape de l'ongle sur son bureau en soupirant.

— Mademoiselle Lamarre, êtes-vous vraiment sûre de vouloir continuer sur cette voie ?

Je regarde mes genoux pleins de poussière suite à ma chute quelques minutes auparavant. J'ai mal, peut-être que des bleus se forment sur ma peau. Je ne peux que les deviner sous mon jean.

— Mademoiselle Lamarre, vous m'écoutez ? Il s'agit quand même de votre avenir.

Je hausse les épaules. Qu'est-ce qu'il cherche à me faire dire ?

Il pianote sur son ordinateur et se gratte le menton.

— Vos professeurs m'ont rapporté vos notes en chute libre et votre manque d'implication en cours. Je vous rappelle que vous avez intégré notre meilleure classe sur demande expresse de vos parents. Nous attendons donc beaucoup de vous.

— C'était une erreur, lance ma voix atroce, mais elle râpe ma gorge et sonne de manière inintelligible.

— Êtes-vous souffrante ? Je n'ai pas compris ce que vous venez de dire. Je pense qu'il faut vous reprendre et ceci dans les plus brefs délais !

Il ne m'écoute même pas... On dirait mon père.
Bonnes notes...blablabla. Motivation, blablabla. Votre futur se construit aujourd'hui et reugneugneu...

Mais je n'en ai rien à faire de cet avenir qu'on a choisi pour moi. Je ne veux pas devenir médecin ni avocat. Je ne sais même pas qui je suis et vous me demandez de me projeter dans cinq ou dix ans ? Vous vous moquez complétement de ce que je veux vraiment.

Bien sûr, je ne l'ai jamais dit à mon père. Il pense que je vais redorer l'honneur de ma famille et faire oublier ce que Cam a fait.
On ne parle même plus de Cam à la maison depuis.

Une existence peut-elle être rayée de l'univers par le silence ?

Je baisse la tête en attendant que le sermon se termine.

— Je me vois dans l'obligation de convoquer vos parents, nous pourrions vous changer de cursus.

— Non ! je m'écrie.

— Ah je vois que vous n'êtes pas si résignée que cela. Très bien. Je vous donne jusqu'à la fin du trimestre pour vous rattraper. Dans le cas contraire, vous ferez votre dernière année dans une autre classe.

Non... je m'en fiche de mon cursus. Je ne veux simplement pas que mes parents s'en mêlent.

J'adopte un air reconnaissant et quitte le bureau du proviseur.

Il va falloir que j'en parle à M. Duval. Je m'attends déjà à ce qu'il me fasse bosser tout le programme d'ici la fin du trimestre. Quel bourreau de travail ! Et pourtant, je lui en suis reconnaissante : il est le seul à prendre le temps de m'écouter.

À propos d'être écoutée, je repense à l'application de la sorcière et l'ouvre, tandis que le lycée se vide d'une partie de sa population.

Je rapatrie ma carcasse jusqu'à ma maison provisoire. Je jouerais bien avec Théo, même si je suis incapable de lui chanter une chanson compte-tenu de l'état de ma gorge. J'en profite pour faire un crochet par le marché du coin, quand soudain un caillou me frappe dans le dos. Je me retourne pour me faire apostropher par une femme toute de noire vêtue.

La sorcière ?

— Tu devrais m'acheter du miel !

Mais qu'est-ce qu'elle fiche ici ?

— Je vends de produits bios.

Elle a entendu ma question ? Est-elle télépathe ?

— Ce serait bon pour ta gorge. J'ai aussi des pastilles au miel et du thé dont tu me diras des nouvelles. Je te fais un prix d'amie : tu me payeras en chanson. Sans ta voix, tu n'es pas pertinente pour mes projets.

Ah oui, elle voulait ma voix. Elle est folle.

— C'est sympa ton vœu d'être entendue, mais il faut au moins dire quelque chose, ne penses-tu pas ? Je peux valider ton souhait, mais pas faire le boulot pour toi. Je ne suis pas là pour te mâcher le travail. Aller, ma petite !

Je la regarde avec incompréhension.

— Oh bon sang, faut tout t'expliquer ? Tu dois poster des choses sur mon site.

Je grimace.
Si je ne peux pas parler, comment faire des podcasts ?

Elle me tend un sac en papier kraft avec ses remèdes bios soit-disants miracles et agite son index sous mon nez.

— Tu sais, on peut aussi poster des textes. Tu en as plein, non ? N'aurais-tu pas un carnet de notes, comme tous les artistes ?

Un carnet ?
Oh si, mon carnet. Comment est-elle au courant ? Est-ce qu'elle l'a vu ?Je fouille dans mon sac dans le doute.
Disparu.
Plus de carnet...

Je la dévisage avec colère.

— Non, je n'y suis pour rien, elle lève ses paumes vers le ciel. Bon maintenant, file, j'ai des clients...

Et elle me chasse de son stand sans ménagement.

Est-ce que je viens d'avoir une conversation avec elle, sans ouvrir la bouche une seule fois ?

Je me gratte la tempe, et mon carnet où est-il passé ?

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