Mermaid Online

44. A Genoux (Stella)

J'ai fixé le plafond de ma chambre la moitié de la nuit.

Comment vais-je pouvoir parler à Jay ? D'abord je lui en veux encore pour mon carnet, ensuite je suis furieuse qu'il s'en soit pris à Matthias. Pour finir, même si je lui pardonne tout cela, comment pourrais-je lui expliquer que je suis la sœur de son ami défunt ?
Et aussi que je suis celle qui lui a sauvé la vie...

Je me recroqueville dans mon lit.

C'est trop compliqué !
Si je commence à parler je ne pourrais plus m'arrêter et il ne va rien comprendre à mes délires, exactement comme la fois où nous avons marché jusqu'au lycée. J'ai fini par lui parler de protections périodiques et de clitoris ! Je suis ingérable !

La seule chose qui me calme c'est la musique. Je pourrais éventuellement canaliser mes craintes de tout lui dire si j'arrivais en faire une chanson.

Je sors de mon lit, allume ma lampe de chevet et attrape ma guitare.
Assise sur le tapis, mes doigts se posent sur l'instrument. Mais dès la première corde frôlée, ma respiration se bloque et ma gorge se serre.

Et si Jay ne voulait plus jamais que je joue ?
Et si je lui avais fait tant de peine qu'il refuse même de m'écouter ?

Mon front touche le bois de la guitare et je soupire. Je n'y arriverai pas.

Mon téléphone sonne soudain car je l'ai mis en mode réveil-matin. Je soupire et décide de me préparer, je vais emmener ma guitare avec moi au lycée. Si je trouve un moment en fin de journée, j'irai en jouer au parc. Je sais que Blanche y sera avec Théo. C'est leur nouveau rituel de s'y rendre pour le goûter et d'y jouer au dragon. Enfin, c'est surtout Blanche qui fait le dragon pour le petit prince...

Bon, allez ma vieille. Pas de temps à perdre. En avant pour le lycée.

.....

Après une douche, je vérifie mon sac et enfile quelques habits piochés dans l'énorme caisse livrée par Roxanne. Les coupes sont classiques mais pas démodée et j'hallucine que ce soit des vêtements fait main. Elle a même créé une petite étiquette avec une rose rouge brodée dessus et ses initiales stylisée "R.R" (pour Roxanne Rosso). C'est comme si j'avais accès à une marque secrète et unique. Chaque tissu est doux au toucher et j'ai l'impression que chaque pièce a été chérie. On dirait que tout est neuf.

Je choisis un pantalon bleu denim en stretch très confortable et une chemise noire avec de larges poches sur la poitrine, des petites épines dorées sont brodées à la main sur des ronces vert-foncées qui courent et s'entrelacent sur les manches. Je n'y connais rien mais je pense que cela a dû prendre un temps fou à Roxanne. Au dos de la chemise, les ronces se rejoignent pour former un énorme cœur un peu gothique. C'est à la fois punk et romantique, comme un dessin des années quatre-vingt-dix.

Lorsque j'apparais ainsi habillé au rez-de-chaussée, M. Duval a un mouvement de recul en me voyant. On dirait qu'il a vu un fantôme.

« Les habits de la voisine », je précise.

Il hoche la tête comme s'il pensait à autre chose et me souhaite une bonne journée avant de retourner dans son bureau.

Mon étui a guitare dans une main et mon sac sur le dos, je sors de la maison quand un paquet blanc se tend devant mes yeux. Une main tient ce paquet à bout de bras.

« T'en veux ?

Je fais un pas de côté et fronce les sourcils.
Jay continue à me tendre le sachet.

— Ce sont des croissants, pas de la mort aux rats, précise-t-il.

— Tu m'en vois rassurée !