16- Une vision

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Dehors les rues de Berlin sont animées, pleines de monde et de passage. Mais alors que Bucky s'attend à aller dans un café, sur une terrasse, Emily l'emmène à un tout autre endroit : le Sir Savigny Hotel, l'un des plus luxueux de toute la ville si ce n'est du pays. Ici, elle guide Bucky jusqu'à l'ascenseur, puis jusqu'au troisième étage. Elle sort une carte magnétique de sa poche, la glisse contre l'une des portes du grand couloir et celle-ci s'ouvre dans un cliquetis.

Désormais, Bucky et Emily sont tous les deux. Les détails ne sont pas faciles à regarder ; pas parce que je ne les vois pas, mais parce que je ne supporte pas de les voir. Pourtant, je continue de le faire, je regarde. Je ne peux pas faire autrement, je ne peux pas m'enfuir de mes propres visions.

Bucky s'approche de Emily, une lueur... agressive, dans le visage. Il attrape sa nuque d'un coup sec et alors il se met à l'embrasser, encore et encore, comme s'il ne pouvait rien faire d'autre.

Les détails deviennent flous, anormalement flous d'ailleurs et je ne peux pas voir la scène avec exactitude, pourtant je sais ce qui est en train de s'y produire. Je vois des draps froissés, des jambes pliés, des corps... caressés. J'entends le souffle de Bucky qui s'accélère, celui de Emily qui ralentit. Je le vois l'embrasser, toucher son visage, ses cheveux, glisser ses mains le long de ses jambes...

Je me réveille dans un sursaut, et l'ampoule au-dessus du lit éclate dans un fracas. Alors que je regarde autour de moi je prends conscience, réellement, de ce que je viens de voir. J'ai le cœur brisé. Non, même pas brisé, ça ne suffit pas. Mon cœur est explosé, broyé, explosé à nouveau. Je voudrais avoir la force de rester de marbre, ou même m'énerver et tout casser autour de moi, mais je n'y arrive pas. C'est trop dur.

Il a couché avec elle. Il a couché... avec une autre que moi. C'est la pire des visions que j'ai eu à supporter depuis que ce don cauchemardesque m'a été donné. Voir son regard sur elle, voir où il a posé ses mains, je...

— Joy, ça va ? Tu as fait un cauchemar ?

Je me tourne, lentement, dans la direction de Bucky sans pour autant pouvoir le regarder dans les yeux.

— C'était une vision, reprend-il, c'est ça ? Bébé, qu'est-ce que tu as vu ?

Je n'ai pas la force de parler, pour être honnête. Alors je me tourne vers lui avec lassitude et pose la main sur le haut de son crâne. Voilà, autant qu'il voie tout par lui-même. Même s'il doit probablement très bien s'en rappeler sans mon aide.

La vision dure quelques secondes à peine et quand il sort de sa transe, Bucky se tourne vers moi d'un air... apeuré. Oui, apeuré est le mot.

— Joy, je... Je n'ai pas fait ça. Jamais.

Et alors, pour la première fois depuis son réveil, je prends finalement la parole.

— Oh, dis-je en riant, ah bon ? Tu n'as pas fait « ça » ?

— Non Joy, je te le jure je...

— NE MENS PAS, BARNES !

Trop tard pour le ton calme. Maintenant, je suis énervée en plus d'être totalement brisée.

— J'ai vu ton corps sur le sien, j'ai vu... tes mains, tes doigts... Comment tu as pu me faire ça James ? Après tout le temps qu'il m'a fallu pour te faire confiance ? Comment tu as pu ?!

Je me suis levée du lit désormais, et je sens des larmes couler sur mes joues. Aucune idée de s'il s'agit de larmes de colère ou de tristesse ; c'est très probablement les deux, de toute manière.

— Joy, reprend Bucky néanmoins, je te jure que je n'ai...

— Tais-toi maintenant. Je ne veux plus t'entendre.

La conversation est terminée, je ne peux plus faire ça. Je récupère mes habits sur le sol, les enfile rapidement et toque à la porte qui sépare notre chambre de celle de Sam. Celui-ci ouvre les yeux fatigués et les lèvres grimaçantes.

— Qu'est-ce qui vous arrive à vous deux ? dit-il d'une voix endormie. Je dois...

— Prends ma place, dis-je à Sam. Je ne veux plus dormir dans ce lit. Je ne veux plus qu'il me touche, plus jamais. Il me dégoûte.

Sans un regard en arrière, je dépasse le seuil de la porte pour me rendre dans la seconde chambre, où Batroc est attaché au lit et me regarde avec malice. Je vais passer la nuit ici, ce sera mieux. Demain, nous partirons pour Stockholm et une fois que cette mission sera terminée, je partirai. J'ai appris à le faire, c'est tout ce que j'ai fait durant les vingt-six premières années de ma vie. Car pour être honnête, je ne crois pas être capable de rester près de... lui, dès l'instant où je n'y serai plus obligée.

Il a brisé mon cœur. 

L'univers de Joy - Tome 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant