Le souvenir de la découverte du corps de Zélie dans ce même bois, étrangement conservée par le temps, me revient en tête.
— Ne me dites pas que vous avez trouvé un autre cadavre.
Son sourire s'évanouit d'un coup.
— Je ne comprends pas. Non, pas du tout.
Je me rends compte que je n'ai jamais parlé de toute cette affaire à Monsieur Blond. Je ne lui ai même pas dit pourquoi la police venait fouiller régulièrement. Et ça n'a pas l'air de le perturber. Je balaye l'air de la main comme s'il allait comprendre que je souhaite qu'on passe à autre chose. Ça semble fonctionner.
— Suivez-moi, je vais vous montrer.
Machinalement, je cherche les sabots de mamie, avant que mes yeux ne tombent sur les Stan Smith de mon paysagiste. Le terrain est largement praticable. Je laisse tomber les précautions et le suit vers le petit bois du domaine.
Étrangement, je m'attendais à le contourner par le chemin qui longe la clôture, le seul que j'ai vraiment eu besoin de prendre jusque là, mais Chris le jardinier s'enfonce directement dans le bois depuis la terrasse attenante à la maison. Je le suis à travers ce que je m'attends à être des broussailles, mais j'ai la surprise de constater qu'il est allé jusqu'à retirer le bois mort et abandonné depuis la tempête de 99 et mettre à jour un sentier dont je n'ai même pas le souvenir. Peut-être que même mes grand-parents ignoraient son existence. Il est composé de quelques dalles en granito clairsemées qui, ensemble, dessinent un chemin à travers le bois. L'ambiance se fait rapidement plus fraîche. Je me rends compte assez vite que je suis seule avec ce musculeux surfeur australien et qu'il peut m'arriver n'importe quoi sans que personne ne le sache.Prenant soin de garder une saine distance entre moi et la bête, je distingue au loin, après à peine une minute de marche un peu sportive (on est, ou on est pas un adonis de publicité qui a dit non au sucre), une forme colorée. Il semblerait que Monsieur Blond ait découvert une sculpture ancienne sur mon terrain !
Effectivement, alors que je le rejoins silencieusement au rythme du craquement des brindilles sous mes baskets, je découvre, ébahie, une vierge d'une beauté à couper le souffle. Elle est comme neuve, éclatante de rose, de turquoise, d'un bleu nuit profond et de rouge. Son petit enfant Jesus arbore un sourire tordu mais plutôt content de lui. La vierge, elle, semble être chez elle dans ce bois quasiment abandonné.
— Je me suis permis de la nettoyer avec des détergents naturels, intervient soudain Monsieur Blond en brisant le charme de l'apparition. La crasse, la mousse et les feuillages l'ont préservée des dégâts du temps. Elle n'a pas l'air d'être non plus une antiquité, mais si vous la faite expertiser, je suis sûre que vous découvrirez qu'elle date au moins d'un siècle. Peut-être même plus.
Je me laisse bercer par la magie de la découverte. Peut-être que depuis toutes ces décennies, elle veille sur la maison ? Était-elle là lorsque Zélie vivait ici à la fin du 19e siècle ? A-t-elle vu naître mon grand-père ? Ma sœur serait folle de voir ce que j'ai dans mon jardin. Je ne suis pas croyante, j'admire la beauté. Mais elle, elle trouverait toutes les explications mystiques possibles aux doutes de Rose. Je crois que je ne vais pas prévenir la famille tout de suite si je veux être un peu tranquille cet été. Quoi que... à quoi bon être tranquille si je passe mes journées seule ? La pensée d'Antoine traverse mon esprit.
Elle disparait aussitôt alors que, contournant la sculpture pour l'admirer sous tous les angles, j'aperçois une petite trappe dans son dos, à la base de la robe de la vierge. Ni une ni deux, j'essaye de l'ouvrir. Il n'y a ni poignée, ni système d'ouverture, aucune encoche, et mes ongles raclent contre la céramique de la façon la plus désagréable qui soit.— Je n'ai pas osé l'ouvrir sans vous, souffle mon paysagiste dans mon cou, en se penchant vers l'objet de mon attention. Attendez, j'ai ce qu'il faut.
Comme par magie, il sort un tourne-vis à tête plate de la poche de son jean moulant comme si c'était un fichu sac de Marie Poppins. Dans deux secondes, le type va faire apparaitre un Bifrost et me ramener en un quart de seconde chez moi.
Le tourne-vis s'encastre parfaitement dans le minuscule interstice lisse qui sépare la porte de la trappe et le reste de la sculpture. Ça se déboite délicatement sans altérer la céramique. Un magicien. Il dépose la plaque dans ma main, du côté intérieur de la sculpture. Nous restons sans voix en contemplant la petite gravure d'atelier à sa surface : « Limoges 1969 ». Ah.— Pas vraiment du XIXe siècle, enfonce-t-il.
Sans blague. Nos deux regards se dirigent d'un même mouvement vers l'intérieur de la cachette secrète, pour y découvrir un simple sachet en plastique opaque. Je m'en empare comme si je venais de découvrir un trésor. Sans doute un résidu de frustration de n'avoir pas encore récupéré les diamants de mon ancêtre Zélie, encore retenus comme preuves dans l'affaire à laquelle je suis mêlée, alors que je me suis donnée corps et âme (surtout âme, maintenant que j'y pense) pour les découvrir. Je m'empresse d'ouvrir le sachet imprimé d'un gros logo Malabar des années 70, Chris Poppins se penchant au dessus de l'ouverture avec moi.
De la marijuana. Dites-moi que je rêve.
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Le Marais des hérétiques
Mystery / ThrillerÀ peine remise de sa précédente aventure, Angèle Kashinsky reçoit une lettre mystérieuse qui va l'amener à poursuivre la piste d'un trésor englouti, mais également son propre passé enfoui dans les méandres de sa mémoire. Cette histoire est la suite...