Je l'arrête immédiatement d'un signe de la main.

— Je ne vois absolument pas de quoi tu parles, je m'offusque. Ce n'est qu'un courrier adressé à ma grand-mère. Qui est morte, certes. Mais je n'ai rien à voir là dedans.

— Ah bon ?

— Comment ça, ah bon ?

— Tu ne va pas essayer de la déchiffrer ?

Le chaud me monte aux joues. Le bougre, il commence à bien me connaître. À la fois, il a été le témoin privilégié de mes mauvaises décisions et de ma capacité à me fourrer toute seule dans le caca avec la meilleure des convictions. J'ai tout de même failli y laisser la peau la dernière fois. Heureusement que Julie était là pour me sauver avec sa batte de Harley Quinn. Et qu'elle n'a pas tué Monteiro en le frappant pour qu'il arrête de m'étrangler, sinon ce serait elle qui serait derrière les barreaux, actuellement, et pas lui.

D'ailleurs, ça fait un petit moment que je n'ai plus de nouvelles de Julie, ça m'inquiète. Il y a quinze jours, lorsque je me suis acheté un nouveau téléphone, on s'échangeait des dizaines de messages pour nous raconter nos aventures respectives, puis, plus rien. Forcément, comme j'avais la tête dans une brume nommée Antoine Rivière, je ne me suis rendue compte de rien. Je devrais peut-être aller voir chez elle ? Ou chez ce salaud de François Briard, qui m'a licenciée, si elle s'est vraiment installée chez lui. Je n'arrive pas à croire qu'elle se soit éprise d'un petit chef à tendance tyrannique comme lui. Mais bon, c'est mon amie. Je suppose qu'une certaine indulgence s'impose.

Je me replonge dans ma tarte au citron. Antoine est en train de photographier la lettre de Colette.

Non. Il faut que je m'assagisse. Je ne peux pas me jeter sur la première énigme qui se présente, juste parce que j'ai du temps à tuer et que j'ai pris goût à la chasse au trésor pendant l'hiver. Même si les diamants que j'ai découverts me rapporteront une coquette somme une fois que la justice n'en aura plus besoin.

Antoine fait glisser la lettre sur la table dans ma direction.

— Alors ?

— Quoi ?

— Tu vas la déchiffrer ?

— Je ne sais pas, conclus-je en pliant le papier pour le ranger dans son enveloppe. Je suppose qu'il n'y a rien d'alarmant là dedans. Mamie ne pourra jamais répondre à cette personne, de toute façon.

— Je me demande si elle n'était pas dans une secte.

Je me fige, meringue dans la cuillère.

— Où vas-tu chercher une idée pareille ?

— Ça ressemble à un poème qui parle de religion, non ?

Mamie, dans une secte ? La secte des coquines à la retraite, oui ! Comment aurait-elle eu le temps à la fois de se faire embrigader ET d'entretenir une relation sulfureuse avec un amant de trente ans son cadet ? Amant qui a essayé de me tuer, au passage.

Antoine relit le texte sur son téléphone.

— L'agneau chrétien, la chaire épiscopale, la sœur de charité... on dirait des extraits de la bible.

Je me retiens de ne pas me jeter sur son téléphone pour tout relire. Je suis certaine qu'il le fait exprès. Il me titille pour savoir si je vais me tenir à carreau. Eh bien oui, je vais être sage comme une image. Ah ah !

— Je garde la copie au cas où. Je me méfie de Colette Kashinsky. Après tout, elle a tout de même récupéré la robe d'une morte pour revendre les perles qui étaient cousues dessus.

— Elle ne savait pas à qui appartenait la robe ! je hausse le ton, scandalisée.

— Peu importe, tranche Rivière. Elle ne s'est pas posé assez de question, si tu veux mon avis. je garde ça sous le coude, pour le jour où ça te reviendra en pleine poire. Mais si tu veux un conseil...

— Quoi encore ?

— Je t'invite à régler en priorité son administratif.

Ok, je crois qu'il a définitivement gâché mon repas. Il se lève. Lui aussi estime que l'ambiance est trop gâtée pour rester ? Il vient s'asseoir à côté de moi, et... Oh mon Dieu, ce baiser est divin. Qu'est-ce qu'on fait ici, déjà ? Pourquoi on n'est pas chez moi pour pouvoir continuer ce baiser d'une façon qui me conviendrait beaucoup mieux ? Antoine me regarde dans les yeux avec intensité. Oui, j'ai bien dit intensité.

— Rentrons.

Sa voix grave a le même effet sur moi qu'une drogue aphrodisiaque. Oh ouiii ! Allons faire la fête sous les couvertures ! J'enfile mon gilet comme si ma vie en dépendait et file régler la note. Nous nous engouffrons dans le froid, complètement réchauffés, et marchons d'un bon pas vers la station de métro la plus proche. À l'approche de Saint Paul, une petite voix fluette résonne dans mon dos.

— Angèle, c'est toi? Salut !

Je me retourne et tombe nez à nez avec une somptueuse femme d'une trentaine d'années, enroulée dans un manteau de fausse fourrure léopard sur lequel elle a enroulé un carré Hermès, laissant s'échapper quelques mèches de cheveux bruns au brushing parfait. Lydia Schramm.

Mon cœur s'emballe un peu. Je ne m'attendais pas du tout à la croiser ici, ni aujourd'hui. Ni jamais, en fait. À côté d'elle, j'ai l'air d'un épouvantail.

Je n'arrive pas à décrocher un mot. Fidèle à lui même, Antoine rattrape le coup et lui tend la main.

— Enchanté, Mademoiselle.

Elle lui rend son salut avec grâce et revient vers moi.

— Sa... Salut Lydia.

— Ça fait plaisir de te voir en forme.

— Toi aussi. Qu... qu'est-ce que tu deviens ?

Elle joue de son rire cristallin. Je ne le regarde pas, mais je me doute que Rivière est sous le charme. Elle est gonflée. Venir me voir comme ça après...

— J'ai déménagé dans le quartier. Le boulot c'est toujours pareil. On n'arrête jamais, hein ?

— Non, on n'arrête jamais, je mens en pensant à mon licenciement. C'était un plaisir de te revoir.

— Oui, c'était inattendu. Tu es toujours aussi... originale, conclut-elle en lançant une œillade à Rivière.

Originale ????

Je tire Antoine par la manche pour reprendre notre chemin vers la bouche de métro. Je suis furibonde. Je crois que ça ne lui échappe absolument pas. Je l'entends lancer un « Au revoir » poli par dessus son épaule. Ça lui coûterait d'être impoli, juste une fois ?

— Que t'arrive-t-il, Angèle ? On n'est pas si pressés, non ? Elle était sympa cette fille, que t'a-t-elle fait pour qu'on la fuit comme la peste ? Si tu voulais être discrète, c'est raté.

Je ne réponds pas et continue à fulminer en essayant de repenser à l'état d'esprit dans lequel j'étais juste avant de la croiser. Merde ! Je n'arrive pas à le retrouver !

Antoine se dégage de ma poigne qui enserre toujours sa manche et me force à ralentir.

— Angèle, si tu ne me dis rien, je ne peux pas t'aider. C'est qui cette fille ? Elle t'a piqué un mec, ou quoi ?

Je n'avais pas vraiment envie d'en parler. Maintenant, Antoine me doit un sombre secret. Mais puisqu'il veut vraiment savoir...

— Non. Elle m'a larguée comme une merde. C'est mon ex.

Le Marais des hérétiquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant