Le Marais des hérétiques

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Un soleil printanier s'engouffre par le chien assis de mon petit studio parisien. Une des choses que j'aime le plus au monde doit être de me faire réveiller par une lumière éclatante, qui augure les meilleures choses qui soient pour la journée. Une autre chose que j'aime le plus au monde, c'est d'avoir cet homme totalement nu dans mon lit. Il dort encore. Je me colle contre son dos musculeux, à l'opposé de ma propre silhouette replète.

Je crois qu'il y a de pires façon de passer son temps libre. Enfin, surtout le sien, puisque depuis quelques semaines, je n'ai pas grand chose d'autre à faire. Je pourrais m'activer à chercher un nouvel emploi, mais je ne sais pas, c'est sans doute toutes ces journées et ces nuits passées en compagnie d'Antoine Rivière, j'ai plutôt envie de me la couler douce.

Je profite de cet instant qui effleure l'arrivée du printemps comme d'un moment inestimable. J'apprécie la chaleur du rayon de lumière sur ma peau, le silence matinal de mon studio haussmannien, avec cet immense lit dont j'ai soigneusement choisi chaque couche, chaque moelleux, chaque épaisseur de draps, qui trône en son centre, le piaillement d'un moineau qui a survécu à l'envahisseur (je veux bien entendu parler des pigeons). Je respire la peau d'Antoine.

Je me demande quel jour on est. J'ai perdu le compte.

Ça fait au moins trois semaines que je suis rentrée chez moi après mon séjour à l'hôpital. Dieu merci, depuis mon agression par cette brute d'Ambroise Monteiro, criminel international et chasseur de trésor peu scrupuleux, mon énorme cocard a disparu, et j'ai presque retrouvé ma voix. Antoine a pris un congé et est resté au moins dix jours chez moi, dans mon minuscule petit chez moi, pour ne pas me laisser seule après mon agression. Il dit que si je ne trouve pas réconfort et soutien en temps voulu, les séquelles psychologiques pourront se prolonger de façon trop indésirable.

Je ne m'en sors pas trop mal. En tout cas d'après le psy que m'a conseillé mon amie Julie. Il dit que je suis ce qu'on appelle quelqu'un de résilient. Il faut dire, le docteur Roux sait désormais bien plus de ma vie que n'importe quelle personne de mon entourage. Je crois qu'il a un super pouvoir qui me fait déblatérer mes pensées et mes souvenirs comme... je ne sais pas, moi, comme du vomis. Beurk.

Désormais il y a ce qu'Antoine sait —à savoir bien peu de choses, je ne le connais après tout que depuis trois mois—, ce que mes amis savent, ce que ma famille sait et... il y a le docteur Roux.

Bien entendu, avec l'enquête et le procès qui suivent leur cours, mon capitaine Rivière a dû regagner ses pénates limougeaudes. Mais comme il est courageux et que ça lui fait faire du sport de monter régulièrement mes six étages sans ascenseur, il vient à Paris tous les week-ends. C'est un régal.

— Bonjour Angèle.

Ohoh. Je sens que nous allons encore passer la journée au lit. Miam. Il est tellement beau, avec ses cheveux ébouriffés.

— Et si on allait manger quelque part, aujourd'hui ?

Antoine enfouit son visage dans mon cou et mes boucles rousses emmêlées. C'est quoi cette idée saugrenue ? On est à Paris ! On peut se faire livrer à manger à n'importe quelle heure ! Pourquoi il veut se rhabiller, bon Dieu ?

— Angèle, marmonne-t-il dans mes cheveux, ça fait un mois que je viens le week end et que je ne vois pas la lumière du jour. Ni les lumières de la nuit, d'ailleurs. Ce n'est pas que je n'aime pas ce qu'on fait ici, mais...

— Mais quoi ? je m'offusque. Il y a tout ce qu'il faut, ici.

— Angèle.

Oh. Je sais comment ça finit, quand ça commence par un Angèle.

— Sortons.

Sans un mot de plus, il quitte le formidable cocon qu'est mon canapé-lit sur mesure de toute beauté et s'engouffre dans mon placard-salle de bain avec la volonté de fer d'un homme qui sait pourtant qu'il a une femme à poil derrière lui en train de le réclamer. Chapeau, Rivière.

Je me retourne dans mes draps et regarde à nouveau par la fenêtre. Le soleil a eu le temps de monter un peu plus dans le ciel. Bon, il faut croire qu'aujourd'hui je vais faire le plein de vitamine D.