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— Mon Dieu... Angèle... Pourquoi es-tu venue ? C'est Colette qui t'envoie ? Tu as tellement grandi.
—   Rodrigue, réponds-je en levant mon visage vers le sien. C'est toi qui a   envoyé cette lettre à mamie Colette ? Tu la voyais encore ? Pourquoi ne pas avoir téléphoné ?
— Je ne pouvais pas téléphoner. Je... C'est compliqué Angèle. Je ne veux pas   te mêler à mes soucis.
— C'est trop tard, dis-je en enfouissant à nouveau mon visage dans son t-shirt.

Il m'écarte malgré ma réticence et, étrangement, la sienne.

— Tu ne comprends pas.
— Ne me repousse pas !

Il parait totalement dépité face à mon émotion. Je ne peux pas accepter qu'il revienne dans ma vie pour en sortir à nouveau.

— J'ai besoin de savoir ce qui se passe. Où étais-tu ? Où es-tu allé toutes ces années ? Pourquoi n'avoir jamais rappelé, ou écrit ?
— Je ne pouvais pas. Je ne pouvais pas revenir.
— Même pour moi ?
— C'est pour moi que je ne pouvais pas revenir.

Je le regarde. Il a l'air si vieux. Il se superpose à mon souvenir de lui. Jeune, magnifique, plein de colère. Je revois son dos, le jour où il a franchi la porte de chez nous pour la dernière fois. J'étais si jeune, à l'époque. Je ne le suis plus. Moi aussi j'aimerais partir et claquer la porte. Je ne veux que ça. Je n'en ai pas le courage. Je ne peux pas lui en vouloir de l'avoir fait.

— Angèle, je ne peux pas rester au même endroit trop longtemps. J'ai... des problèmes. Je ne veux pas que tu y sois mêlée.
— Je peux sûrement t'aider, réponds-je alors qu'il m'entraine dans une ruelle pour quitter le parvis.
— Non. Dis à Colette de me retrouver ici, demain à 10h. S'il te plait.
— Je ne peux pas, Rodrigue. Mamie est morte.

Il s'arrête de marcher.

— Je suis navrée que personne ne t'ai mis au courant. Si quelqu'un le pouvait toutefois. Qui savait où tu étais ?
— Colette.

Mes jambes flanchent, mais il m'oblige à continuer à marcher. Je n'arrive pas à croire que mamie a continué à voir Rodrigue pendant toutes ces années. Sans jamais rien me dire. Alors que j'étais si malheureuse. Alors que j'étais anéantie. Bien qu'il me force à avancer, je sens que Rodrigue lutte également contre lui-même. Il tremble de plus belle et regarde furtivement derrière lui en pensant que je ne m'en aperçois pas.

— Vas-tu me dire ce qui se passe ?
— J'avais besoin d'un abri.
— Tu veux venir à la maison ?
— Quelle maison ?
— Celle de mamie. Elle est à moi, maintenant.

Sa surprise ne m'échappe pas.

— J'ai besoin d'un abri. Discret.
— Viens, tu me racontera tout ça.

Il s'arrête enfin et me serre fort dans ses bras.

— Je ne peux pas venir directement. Mais je viendrai. N'en parle à personne s'il te plait.

Je me dégage légèrement pour lui faire face.

— Que veux-tu qu'il arrive ?
— Je ne veux pas que les autres sachent que je suis revenu. Que je suis en vie, que j'existe.
— Je vis toute seule là bas. Je n'en parlerai pas aux autres, lui promets-je à contre-cœur. Mais toi, promets-moi que tu vas me dire ce qui se passe.
— Promis, jure-t-il en prenant mon visage dans ses mains caleuses. Demain, ou après-demain. Je serai là.

Il dépose un baiser sur ma joue.

— Tu m'as tellement manqué, mon adorable petite Angèle.

Il m'enlace une dernière fois avant de partir. Totalement sidérée, je le regarde s'éloigner jusqu'à ce qu'il disparaisse de ma vue.

Pendant quelques minutes j'oublie où je suis. J'ai la tête qui tourne. Je ne sais même pas si je respire. J'ai l'impression de tout vivre au ralenti. Un vélo me fonce dessus en klaxonnant et manque de me renverser. Je ne reprends mes esprits qu'en saisissant la main qui m'aide à reprendre l'équilibre. Une grande main que j'ai envie de garder dans la mienne.
En me rétablissant tout à fait, je me rends compte qu'Antoine se trouve devant moi.

Le Marais des hérétiquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant