Le serveur nous dépose à chacune une assiette de butternuts rôtis, pickles de radis et mesclun au vinaigre balsamique. Mais pourquoi diable sert-on encore du vinaigre balsamique de nos jours ? C'est en train de noyer ma butternut.

— Angèle, commence Julie à moitié sérieuse et à moitié... espiègle ? J'aimerais que tu sois mon témoin.
— Pardon ? réponds-je en crachant mon mesclun.

— On n'a pas encore fixé de date, mais j'aimerais que tu sois mon témoin. Quand je suis arrivée du Havre, et que j'ai commencé à travailler à l'agence, tu as été la seule à être aussi cool avec moi, et tu es toujours une de mes meilleures amies.
— Euh... et François ?
— Quoi François ?
— Je sais que je remets tout le temps ça sur le tapis, mais je te rappelle que je poursuis la boite aux prudhommes. Et donc remets en cause sa décision à lui. Je ne suis pas certaine d'être sa personne préférée en ce moment. Ni qu'il souhaite avoir ma signature sur son registre de mariage.
— Le temps que ça arrive, ce sera loin derrière nous.
— Je n'en suis pas certaine. Et tu te maries uniquement à la mairie ?
— Je n'en sais rien. Un beau mariage à l'église, ce serait bien aussi, lance-t-elle comme ça, l'air songeur.
— Tu es baptisée ?
— Oui.
— Pas moi. Je suis une hérétique, Julie.
— Angèle, si tu as quelque chose contre ce mariage, autant le dire tout de suite.

Je prends le temps de réfléchir, et ça ne plait pas à Julie, qui commence à froncer les sourcils en écrasant dangereusement ses derniers morceaux de butternut sous sa fourchette, les fondant définitivement dans le sucre du balsamique. Elle tire la grimace en les mettant à la bouche. Pendant ce temps, je réfléchis au fait d'être témoin d'un mariage chrétien alors que je me fiche du marié ET du culte.

— Non, je n'ai rien contre ton mariage. Je ne veux simplement pas être malhonnête.
— De quoi parles-tu ?
— Du mariage dans une église qui, de fait, me rejette.
— Oh, n'exagère pas.
— Je ne veux pas que ça te gène.
— Non Angèle, arrête de tergiverser, ça ne me gène pas, et je n'ai pas mis les pieds dans une église depuis l'âge de 16 ans, alors on repassera pour l'honnêteté. Tu veux être mon témoin, oui ou non ?
— Je m'habillerai comme je veux ?
— Oui.
— Alors ok. Je serai ton accompagnatrice des mauvais jours. Ceux où ta mère t'engueulera parce que tu prévois un buffet et pas un service à table, où ta belle mère fera la tête en voyant tes chaussures et le choix de ton voile, et ceux où François ne fichera rien pour organiser votre grand jour.

Julie tire vraiment la tronche.

— Encore toutes mes félicitations.

Le Marais des hérétiquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant