Je regagne le rez de chaussée après avoir pris une bonne douche. Le téléphone fixe de l'entrée sonne à toute berzingue. Hors de question de décrocher. Cependant, je rallume le mien, ne serait-ce qu'au cas où Julie voudrait m'appeler.
Les notifications s'enchaînent sur mon écran d'accueil. Julie m'a appelée plusieurs fois aujourd'hui et Antoine plus qu'à son tour hier. De nombreux sms s'affichent les uns après les autres, si bien que chaque notification remplace la précédente sans que j'aie le temps de lire quoi que ce soit. Je me demande si je vais les effacer ou les lire.
Enfin, le dernier message s'affiche, et reste tout seul à l'écran. Il date du milieu de la nuit.
C'est juste écrit « Je t'aime ».
Mon cœur fait un tourbillon dans ma poitrine. Je fixe mon portable sans savoir quoi faire. Lire les autres sms ? Tout effacer ? Je ne sais pas quoi en penser. Antoine ne m'a jamais dit qu'il m'aimait. Je n'attends même pas de lui qu'il m'aime.
Il m'aime ? Et moi, je l'aime ? Et sa femme, putain, est-ce qu'il l'aime aussi ? Je scrolle l'écran d'accueil en effaçant tout sans rien lire.
Je me retrouve dans le silence, assise sur un tabouret en Formica au milieu de l'immense cuisine, en compagnie d'un sac poubelle contenant des morceaux de pétasse en faïence. Il est temps de se ressaisir.
Je me prépare des lasagnes maison et passe la soirée avec Julie au téléphone, dont la belle mère s'immisce de plus belle dans les prémices des préparatifs de mariage. Ça promet.
J'ai retrouvé une énergie de battante. Je me sens indestructible. Je vide ainsi ma nouvelle maison toute la semaine, dans le silence, qui gagne peu à peu mon esprit. Jusqu'à dimanche.
Après six jours solitaires, ce dont je n'ai pas l'habitude, seul le grenier est encore plein à craquer. Je n'ai pas osé m'y atteler, tant il regorge de valises ancestrales et de vestiges des anciennes vies des Kashinsky.
J'ai laissé les gros meubles dans leurs pièces respectives en attendant que des bénévoles d'Emmaüs viennent les chercher demain. Je leur ai préparé un autre énorme lot de meubles plus modestes et d'objets dans le salon, ainsi que des cookies et un stock de café. Dans la salle à manger, j'ai entreposé tout ce que je souhaite garder, un déménageur passe également dans la matinée pour les transférer dans un box provisoire à Limoges, le temps de faire le rafraichissement.
Demain, il ne restera plus que les vestiges des combles et le contenu du placard de ma propre chambre, quasi entièrement importé de Paris.Je ressens à cet instant une immense fierté. J'ai enfin réalisé quelque chose pour moi. Comme si je commençais enfin à accepter que cette maison soit la mienne. Tant de travail accompli, c'est à la limite de l'imaginable.
Je recommence à avoir faim. Une chose qui m'empêchait d'avancer m'a enfin quittée, emportant avec elle le nœud que j'ai eu dans la gorge toute la semaine.
Je m'autorise enfin à m'étaler sur la méridienne que j'ai stockée dans la salle à manger, lorsque mon téléphone sonne à nouveau. Pleine de ce silence salvateur et libérateur, je décroche sans regarder, obéissant instinctivement à mes vieux réflexes.
— Angèle ?
Je me fige. C'est la voix d'Antoine. Pendant un quart de seconde, je songe à faire comme si la ligne avait coupé et raccrocher sans rien dire. À la place, je décide de garder le silence en attendant de voir ce qui se passe. Je ne réponds donc pas.
— Tu es là ?
— Oui.J'entends sa respiration, comprenant qu'il attend que je développe. Mais je ne développe pas. Je tente d'empêcher mon cœur de sortir de ma poitrine au son de sa voix. Sa putain de magnifique voix grave.
— Comment vas-tu ?
— Je ne veux pas en parler.
— Je...
— Je ne veux pas en parler.Je ne veux surtout pas savoir ce qui me prend. J'entends des froissements dans le micro d'Antoine, et comprends qu'il s'agite et se retient de me dire ce qu'il veut vraiment me dire. Tant mieux. En conséquence, il emprunte une voie à laquelle je ne m'attend pas :
— Est-ce que tu comptes aller au rendez-vous de demain ? Je voulais simplement te dire que je peux t'accompagner, si tu ne te sens pas en sécurité. Quoi que... Quoi qu'il se soit passé entre nous.
Je ne comprends pas de quoi il parle.
— Quel rendez-vous ?
— À Limoges.
— De quoi est-ce que tu parles ? Si c'est pour me faire venir, c'est raté.
— Angèle. Je... peut-être qu'un jour tu m'expliqueras ce qui t'as pris, pourquoi tu m'as piétiné après m'avoir fait croire que nous vivions une histoire importante, mais pour le moment je tente de te faire un tapis rouge avec mon amour propre pour te proposer de l'aide, au cas où tu en as besoin, parce que Dieu sait dans quoi tu t'es encore fourrée. Donc ce serait aimable, ou même simplement poli, de juste me répondre sans en profiter pour me cracher encore au visage.J'en ai littéralement le souffle coupé. J'ai l'impression qu'il vient de me mettre un coup de poignard dans le cœur. La boule revient peu à peu dans la gorge, pendant que je peine à articuler :
— Je crois qu'on a un peu mélangé qui a piétiné qui. Et je n'ai aucune idée de ce qu'est ce fichu rendez-vous à Limoges. Alors si c'est juste pour te venger ou que sais-je, on va simplement raccrocher et s'épargner ça, ok ?
— J'aurais du demander à Lydia Schramm pourquoi elle t'avait quittée. Ça m'aurait évité ce genre de discours. Navrée d'avoir porté un intérêt à ta lettre et à tes embrouilles de... de...Je sens qu'il cherche ses mots. Lui qui n'en manque jamais, je le sens arrivé au bout de son langage chatié. J'espère qu'il ne s'empêche juste pas de m'en sortir un bien trop vilain. Quand je réalise ce qu'il vient de me dire.
— Quelle lettre ?
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Le Marais des hérétiques
Misteri / ThrillerÀ peine remise de sa précédente aventure, Angèle Kashinsky reçoit une lettre mystérieuse qui va l'amener à poursuivre la piste d'un trésor englouti, mais également son propre passé enfoui dans les méandres de sa mémoire. Cette histoire est la suite...