Le Marais des hérétiques

7

Je suis d'une tristesse inattendue de voir Antoine prendre le premier train lundi matin. Je programme un déjeuner avec Julie pour me changer les idées, et savoir enfin pourquoi elle ne donne plus de nouvelle depuis quinze jours. Je la rejoins à Boulogne même si je crève de sommeil à avoir fait des folies tout le week-end.

Nous prenons une table dans notre restaurant habituel. Du moins habituel jusqu'à ce que son mec ne me licencie. D'ailleurs, compte tenu de son mutisme actuel, je m'attends à la trouver avec une mine défaite et un drame à me raconter. Ça ne m'étonnerait pas qu'il se soit débarrassé d'elle aussi rien que pour avoir abimé sa batte de Harley Quinn.


Quelle n'est pas ma surprise lorsque je la vois entrer chez Violette et François pimpante, le sourire jusqu'aux oreilles et... plus belle que jamais. Sérieusement. On dirait qu'elle vient de se payer une chirurgie esthétique invisible mais ultra efficace.

— Tu as une mine affreuse, me lance-t-elle en s'asseyant à ma table.

— J'ai pas beaucoup dormi. Tu... tu t'es enfin payé ta cure aux acides hyaluroniques ?

Elle me toise comme si j'avais perdu la raison. Non, pas elle. Julie fait partie du cercle restreint de ceux qui savent qu'Angèle Kashinsky a un grain mais s'en contrefichent. J'espère que ce n'est pas François qui lui a bourré le mou.

— J'ai un appétit d'ogre, élude-t-elle. Alors, qu'est-ce que tu racontes ? Pas assez de sommeil ?

— Je suis dévastée. Antoine est reparti ce matin.

Elle éclate d'un rire franc. Et innocent. Elle croit vraiment que je blague.

— Allons, Angèle, tu ne t'attaches jamais à personne. Antoine est charmant, certes, de ce que j'en ai aperçu, mais pas de quoi fondre en larmes tous les lundis. Pas toi, rassure-moi. Ce mec est beaucoup trop propre sur lui. Et c'est quoi cette manie d'être tout le temps super poli ? Je vais prendre un menu du jour.

Elle relève enfin la tête vers moi.

— Oh, merde. Tu es dévastée.

— Oui !! je chiale presque.

Le fait qu'elle ne s'en soit pas rendu compte tout de suite me donne presque l'impression d'avoir été abandonnée sur le bord de la route. Elle est devenu aveugle, ou quoi ?

C'est alors que je le vois. Un solitaire à son annulaire gros comme la pomme d'Adam de François Briard.