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Alors que je me lève instinctivement  pour leur dire d'arrêter, Antoine me retient vigoureusement et m'intime de me taire. Je lui adresse un  regard implorant alors que les autres commencent à répandre de l'essence  dans le jardin et à l'intérieur de la maison. La panique me gagne comme  une trainée froide qui part du ventre pour se répandre jusqu'à la  racine de mes cheveux.
Je suis abasourdie en constatant qu'Antoine  occupe son précieux temps à écrire un SMS sur son smartphone. Mais je me  rends compte au même moment que nous sommes le lundi de Pâques, qu'il  est en congé, et n'a pas son arme sur lui. Je lis par dessus son épaule  pour me rassurer. Espérons que le lieutenant Clouet soit du genre à  bouger ses fesses ! Je veux même bien de Bougival, si c'est elle qui se  pointe ! Pourvu que quelqu'un, n'importe qui, vienne mettre un terme à  ce qui se trame.

Soudain, je vois mon jardin s'embraser dans un  souffle de vent. Je ne peux m'empêcher de pousser un hurlement  qu'Antoine tente d'étouffer en plaquant ma bouche contre son torse. Il me  maintient là quelques instants, pendant lesquels l'horreur, la haine,  le désespoir et mes larmes se succèdent.

Lorsque le feu gagne la  pelouse quasiment jusqu'au sous-bois, Antoine me secoue en silence, m'invitant à reprendre mes esprits et le suivre à travers les arbres et  les fourrés pour éviter de cuire comme deux pauvres cochons de lait. Je m'exécute.
Mes larmes floutent mon champs de vision et mon amant me sert de point de repère pour avancer.

Mes  pieds s'accrochent de nombreuses fois dans les branches et les pierres.  Je manque de m'étaler au sol et nous faire perdre un temps précieux. Je  sens la chaleur qui s'intensifie dans mon dos à chacun de mes pas.  J'entends le bruit assourdissant des flammes qui crépitent dans le  brasier infernal qui dévore inexorablement ma maison.

— Angèle ! Angèle ! Ressaisis-toi !

Je perçois la voix d'Antoine comme à travers un caisson d'isolation. Il me tire toujours par la main. Je cours sans réfléchir.

—  Il faut que tu me guides, crie-t-il désormais, pressé par l'urgence de  la situation. Dis-moi où est la bordure de la propriété ! Quel est le  chemin le plus court ? Il faut que nous gagnions la clôture avant les  flammes !

Je ne sais plus où j'en suis.

— Angèle ! Me rappelle-t-il à l'ordre. Il faut que tu m'aides ! On va cramer ! On va brûler vif !

Ses  mots me sortent de ma torpeur. Dès que le caisson disparait, une vive  odeur de brûlé atteint mes narines. Je ne peux m'empêcher de me  retourner pour contempler le carnage et perçoit, derrière les rangées de  troncs, des flammes qui s'élèvent désormais plus haut que le toit de ma  maison. Je trébuche une fois de plus et m'écroule sur la mousse.  Antoine s'arrête et tente de me relever avec empressement, ne quittant  pas des yeux les flammes qui lèchent désormais les buissons où nous nous  cachions quelques minutes à peine auparavant.
En relevant la tête,  je remarque une tache colorée derrière Antoine. Je réalise que nous  sommes à deux pas de la statuette de la vierge qui planque la drogue de  mamie. Une vision salvatrice, suis je puis me permettre.

— Angèle ! Allez relève toi ! Nous devons atteindre la clôture avant que le feu ne nous rattrape !

Mais  je prends mon temps pour retrouver mes marques. Je me relève et tente  de me diriger par rapport à la vierge creuse. C'est à mon tour de  prendre la main d'Antoine et de l'emmener dans mon sillage.

— Par là !
— Quoi ? Tu es sûre ?
— Fais-moi confiance !

J'espère  que je ne me trompe pas. Je n'ai jamais couru aussi vite de toute ma  vie. Je me rends compte à quel point l'expression « comme si ma vie en  dépendait » est galvaudée. Je déploie une énergie plus proche du berserk  que de la simple survie.

Enfin, je sais que je suis au bon endroit. Je m'arrête au grand dam d'Antoine qui me presse de continuer notre route.
Je  trouve la trappe que je cherchais. Je m'agenouille à terre et,  consciente de l'incendie qui ne cesse de progresser vers nous, je  déblaye la porte des feuilles mortes et de la terre qui s'y sont déposés  depuis que nous sommes venus avec Chris Poppins, consciente d'agir  comme une possédée. Antoine perçoit enfin les contours de la trappe et  plonge vers moi pour me donner un coup de main. Il se saisit de la  poignée et la tire de toute sa force, dévoilant ainsi l'escalier qui  mène au bunker. Nous nous y précipitons en refermant derrière nous la trappe blindée puis une porte, tout aussi épaisse, isolant la pièce de sécurité du couloir qui la relie à la surface. Je  n'aurais jamais cru avoir l'utilité de cet endroit si saugrenu bâti par  l'un de mes ancêtres dont j'ignore tout.

Nous sentant enfin en sécurité, nous nous écroulons ensemble sur le sol bétonné, à bout de souffle.


* : voir le premier volet des aventures d'Angèle : "La Licorne était borgne", disponible sur wattpad

Le Marais des hérétiquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant