13

71 12 2
                                    

— Bon sang, qui est Edouard ? Pourquoi on va chez lui ? Je pensais plutôt rester ici à te mettre du miel sur...
— Angèle, tu te souviens pourquoi tu es venue à Limoges, et pourquoi je ne suis pas venu à Paris ? Et je ne souhaite pas que du miel intervienne dans un quelconque jeu sexuel. Je préfère qu'il reste sur mes pancakes.
— Oh. Tu as ta soirée avec tes potes. Et tu perds quelque chose, pour le miel.
— Je ne crois pas.
— Je ne pensais pas t'accompagner à ta soirée. Je ne pensais pas être invitée.
— On se voit depuis 2 mois, je me disais qu'on pouvait sortir ensemble, non ?
— Je n'y ai pas réfléchi.
— Je ne t'oblige pas. Tu as largement de quoi t'occuper, si tu préfères rester ici.

Je laisse la discussion en suspens. Je n'avais pas du tout prévu ce genre de situation. Rencontrer les amis, ce n'est pas un peu comme rencontrer les parents ? C'est un grand saut. Du moins pour moi. Je fais comme si de rien n'était et me replonge dans l'énigme à résoudre. Antoine ne semble pas le moins du monde inquiet par la situation. À sa place, je serai horriblement stressée à l'idée de présenter mon bon ami à mes amis. Il serait jaugé, pesé, et jugé acceptable ou non en moins d'une heure, avec verdict direct par sms. L'horreur.

Je préfère googliser « fort coûteuse » plutôt que de penser à tout ça.

— Le mystère de Sittaford est un livre d'Agatha Christie, marmonne Antoine au même moment.
— Et on en conclut quoi ? Que se passe-t-il lorsqu'il est français ?
— Il se passe qu'il est cinq heure moins le quart, me répond-il d'un air triomphant.
— Quoi ?

Toujours assis par terre au pied du canapé, il se penche vers moi comme pour me livrer un secret.

— Le titre français du roman est « cinq heure moins le quart ». Nous devrions le noter. Nous savons que cette lettre s'adresse à Colette, puisque son nom figure en deuxième ligne. Procédons de façon logique. Notons chaque résolution sur une feuille.

Il se lève et se dirige vers la bibliothèque de l'autre côté de la pièce pour prendre quelque feuilles dans un carton, ainsi qu'un stylo. Il revient s'asseoir et, prenant appui sur la table-livres, trace dix-huit tirets les uns au dessus des autres. Il note « Colette » à côté du deuxième, et « cinq heure moins le quart » à droite du douxième. Plus que seize énigmes à résoudre. Je consulte ma recherche en ligne.

— Antoine, je crois qu'on est sur la bonne piste. La première réponse google est une page de solutions de mots croisés.

il se penche sur mon écran.

— Ça donne quoi ?
— Pas grand chose. Onéreux, onéreuse. Mais ça colle. Les mots croisés, je veux dire. Mamie adorait ça. Avec le tricot. Elle en faisait tous les jours devant Les Feux de l'amour.

Il éclate de rire.

— Ce n'est pas drôle !
— Et les autres résultats de recherche ? ricane-t-il.

Je fais dérouler la page sur mon écran.

— Couteux : « fort vent du sud », « annales des ponts et chaussées », « définition de cher », « chère définition », « synonymes de cher », « ils coûtent cher »...
— Oh merde.
— Quoi encore ?
— Tu as raison. Pour les mots croisés.
— Ah bon ? Où tu vois ça ? Pourquoi je ne comprends rien ?
— Tu ne trouves pas que ça sonne bien, « Chère Colette », pour introduire une lettre ?

Je reste bouche bée. Mais à l'intérieur, mon cœur dans la salsa. Chère Colette, tiens-toi prête.

Le Marais des hérétiquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant