— Je ne suis pas disponible, je chuchote dans mon téléphone tout neuf.

— Écoute moi bien. Tu es chez toi, je suis en bas, ne va pas me faire croire que... Tu n'es pas toute seule, c'est ça ?

Je ne réponds pas. Ça me tue qu'elle sache quoi que ce soit de ma vie. Tout ce qu'elle va apprendre sera jugé, répété, déformé et amplifié. Rose est la pire peste des Kashinsky. Pire que moi. C'est sans doute pour ça que c'est la chouchoute de tout le monde. Tout le monde aime les pestes qui se donnent des airs intelligents.

— Angèle ? Je suis toujours là, tu sais !

— Je ne veux pas que tu montes. Je peux descendre, si tu veux.

— Tu te moques de moi ? Il caille !

— J'en ai pour cinq minutes.

Je lui raccroche au nez. Merde. Mais qu'est-ce qu'elle me veut ? On se voit à Noël et à Pâques et c'est très bien comme ça. Tiens, est-ce que je n'ai pas raté Pâques, moi ? C'est quand ? Elle, elle a des mômes, elle garde le compte avec les vacances scolaires, mais moi... Et puis c'est pire sans emploi.

J'enfile  rapidement une robe, des collants, tout en manquant de me casser la figure en dégageant le carré de papier toilette collé sous mes pieds, une robe, mon gros gilet, mes boots et une écharpe. J'ouvre ma porte à la volée pour sortir et me retrouve nez à nez avec ma sœur.

Rose est fringante, béret rose délicatement posé sur ses cheveux blonds en carré parfait, blouson de cuir ultra ajusté bien que trop léger pour la saison, et un jean qui m'a l'air d'avoir coûté trop cher pour être honnête. La lumière du soleil vient outrageusement se refléter sur l'énorme diamant qu'elle porte au dessus de son alliance, histoire de finir de m'éblouir totalement.

— Quelqu'un a fini par ouvrir la porte cochère, explique-t-elle sèchement en entrant sans demander la permission.

— Sort d'ici, Rose, tu me déranges.

— C'est une blague ? Je ne suis pas aveugle, je vois bien qu'il n'y a personne et que tu n'étais pas en train de faire quoi que ce soit. Même a télé est éteinte. Je suis montée, je reste.

— Allons discuter au café.

— Non.

Elle prend ses aises et, horrifiée, je la vois enlever son manteau, tâter mes édredons et s'installer sur mon lit comme si c'était son trône, ou que sais-je.

— Ça fait un mois que papa tente de te joindre au téléphone sans succès, il m'a donc missionnée pour venir te parler.

— Mais me parler de quoi, enfin ? Je te réponds, à toi, au téléphone, alors pourquoi tu viens m'emmerder ici ?

— Ce serait bien qu'on arrête de faire comme s'il ne s'était rien passé.

J'enrage en enlevant mon gilet qui commence à me tenir chaud et en le balançant sur le bout de la tête d'Antoine qui dépasse des draps. Je le vois bouger légèrement, mais Rose ne remarque rien. Elle est beaucoup trop égocentrée pour concevoir un instant que la scène qu'elle est en train de vivre puisse se dérouler autrement que ce qu'elle a imaginé en amont.

— Tu as conscience que c'est par les journaux que nous avons appris ton implication dans une affaire extrêmement préjudiciable ? continue-telle.

— Préjudiciable pour qui ? Je suis témoin.

— Tu sais que Jerôme ne peux pas se permettre que sa famille soit mêlée de près ou de loin à ce genre de chose. Il risque de perdre son travail. C'est bien toi, ça, d'agir sans jamais penser au bien des autres ! Quant à papa, il a tenté de t'appeler un nombre incalculable de fois pour prendre de tes nouvelles après ta sortie de l'hôpital, et toi, tu ne daignes même pas décrocher.

— Je n'avais plus de téléphone. Il le savait très bien. Je n'y peux rien s'il est trop stupide pour s'en souvenir. Et franchement, tu me parles de ton mari ? Vraiment ? Ça ne t'intéresse pas de savoir comment je me remets d'une tentative d'assassinat dans un hall d'immeuble ?

— Oh, je t'en prie, me bat-elle froid d'un petit geste méprisant de la main. Tu exagères toujours tout.

Je n'en reviens pas. Je me disputais déjà avec ma sœur avant. Je sais très exactement depuis quand. J'avais 15 ans, et elle a pris le parti de papa. Je ne lui ai jamais pardonné. Mais plus elle vieillit et plus elle devient... il y a un mot pour ça ?

— Sors de chez moi, Rose.

— Nous n'avons pas terminé.

— Tu t'es suffisamment imposée. Si tu n'es venue que pour m'insulter et minimiser ce qui m'est arrivé, je te prie de quitter mon appartement. C'est le seul endroit où je me sens bien, et tu es en train de le polluer. Casse-toi.

— Je vois qu'on ne se prend pas pour n'importe qui. Étonnant, pour quelqu'un qui vit dans une telle porcherie.

Sur ces mots, elle ramasse le carré de PQ qui était collé à mon pied et que j'ai laissé trainer en m'habillant.

— Barre-toi.

Elle ne bouge pas son royal séant.

— Rose, tu es assise sur mon amant.

Le Marais des hérétiquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant