Je l'invite à m'accompagner à l'intérieur et lui propose un café.
— Ça change de l'extérieur, concède-t-elle à la vue des plaids en patchwork, de la collection de cirés dans l'entrée, du canevas défraîchi représentant un pot de fleur et des fauteuils et canapés assortis usés jusqu'à la corde, datant de bien avant la naissance de mon père.
Je pose mon sac sur la console de l'entrée et me rends compte que j'ai laissé tous mes bagages chez Antoine sans réfléchir. Tant pis. Je trouverais bien quelque chose à me mettre dans une des armoires. Ce sera l'occasion de reprendre enfin le tri laissé en plan en janvier. Ça me changera les idées. Mais cette fois-ci je ne commencerai pas par le grenier.
— Alors ? m'interpelle Adèle lorsque je lui apporte une tasse de café en arcopal. Tu ne vas pas changer d'avis ? Tu es certaine de ne pas vouloir repartir avec moi ? Comment vas-tu faire, toute seule sans voiture ?
— Comment ça changer d'avis ?
— Pour Antoine.
— Non. Et j'ai l'habitude. Je n'ai pas le permis de conduire.Adèle met un temps à encaisser la nouvelle, comme 100% de la population en dehors de Paris. À chaque fois, ça fait l'effet d'une faille spatio-temporelle. Elle se ressaisit, cependant.
— Tu n'as rien entendu de ce que je t'ai dit dans la voiture ?
Je ne veux pas avouer que je n'ai rien écouté du trajet, alors je la fixe d'un regard interdit qui lui laisse le loisir de l'interprétation.
— Comme tu voudras, conclut-elle en se levant et en posant sa tasse à côté de mon sac à main. Mais c'est trop con. Tu devrais le laisser te parler de Roxane.
ROXANE. Putain.
Voyant que je suis de retour à ma colère, Adèle repart vers Limoges en m'invitant à lui téléphoner si besoin. Je la vois lorgner au moins cinq minutes sur un Monsieur Blond torse nu et ruisselant de sueur avant de démarrer le moteur.
J'avance à pas lents dans le salon total look vintage de mamie, me sentant comme une étrangère en terrain hostile. Trois mois que je n'ai pas remis les pieds ici. Tout est resté en plan, si ce n'est le matériel de Monsieur Blond dans l'entrée, vue qu'il a les clés. Un bandeau de scellé traîne sur le seuil de la bibliothèque, dernier vestige du passage de la police limougeaude, avec les nombreuses traces de pas boueuses dans tous les couloirs. On ne peut pas dire que je me sente chez moi. Je me sens totalement désœuvrée.
Alors que je suis tout à mon désarroi, Monsieur Blond, torse nu tel une apparition au sex appeal incontrôlable de pub Coca Light dopé à la même testostérone que Chris Hemsworth, entre en grand fracas dans l'entrée, tenant à bout de bras un tas d'outils que je serais incapable de nommer. Ne s'attendant pas à me voir sortir du salon, il lâche tout sur le sol de surprise, manquant de briser la tomette tricentenaire.
— Mademoiselle Kashinsky !
Dans un mouvement brouillon pendant lequel il manque de me crever un œil avec ses tétons, il s'empresse d'enfiler un t-shirt, de ramasser son matériel et de se composer un sourire.
— Je ne m'attendais pas à vous voir en pleine semaine ! Vous tombez bien, j'ai fait une découverte sensationnelle ce week-end !
— Sensationnelle ?Je n'ai pas du tout la tête au jardinage. Pourquoi, Monsieur Blond ? Pourquoi me faites-vous ça ? Est-ce que Chris Hemsworth jardine, lui ? Non ! Il soulève de la fonte.
Une vision me prend soudain : Chris Hemsworth, outils miniatures à la main, s'occupant de ses innombrables jardinières sur son balcon de Brooklyn. Mmmm...
Mon paysagiste me rappelle à la réalité :— Oui, dans le petit bois, celui qui jouxte le terrain voisin.
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Le Marais des hérétiques
Mystery / ThrillerÀ peine remise de sa précédente aventure, Angèle Kashinsky reçoit une lettre mystérieuse qui va l'amener à poursuivre la piste d'un trésor englouti, mais également son propre passé enfoui dans les méandres de sa mémoire. Cette histoire est la suite...