— La lettre codée, Angèle ! vocifère Antoine. Qu'est-ce que tu fabriques, depuis cinq jours ? Si je n'avais pas eu Adèle au téléphone, j'aurais été persuadé que tu avais disparu, ou que te serais fait enlever, qu'il te serait arrivé quelque chose de grave ! Tu n'as même pas récupéré ta valise, putain !
— La lettre arrivée chez ma grand-mère ? Je ne sais pas où ... Elle doit être dans mon sac. Depuis dimanche. Je l'avais complètement oubliée.
— Mais qu'est-ce que tu fais depuis cinq jours ?
— J'ai vidé la maison de Colette.Sur le moment, je m'en veux de lui répondre comme si ça m'allait de badiner au téléphone. J'entends Antoine marmonner de son côté. J'ai l'impression qu'il exprime son ahurissement d'une manière toute personnelle.
— Pourquoi me parles-tu de cette lettre ? continué-je.
— Parce qu'elle donne rendez-vous demain à ta grand-mère à la cathédrale Saint-Etienne de Limoges à cinq heure moins le quart. Bordel, j'étais mort d'inquiétude, je me suis échiné à traduire ce truc en me disant que tu avais du recevoir un choc en découvrant son contenu, ou t'être embarquée dans un truc improbable, et je me rends compte que tu es juste chez toi à vider la maison de ta grand-mère et à... quoi ? Me faire la gueule ?
— Tu... Tu es...Marié. Mais ça ne sort pas.
— Antoine. Je me fiche de cette lettre. Probablement une connerie de mon cousin Gustave. Il a trop de temps libre. Tu peux rester chez toi demain, je n'irai pas à Limoges. Je n'irai plus à Limoges. Si ce n'est pour prendre le train pour Paris. Je n'ai pas cette... vocation. Ou abnégation, peu importe comment tu l'appelles, d'être « l'autre femme ». J'arrive pas à croire que tu ne m'aies pas dit que tu étais... que tu avais... une... épouse ! Je ne veux pas d'un homme marié. Voilà, je l'ai dit ! Enfin, j'en veux bien si je ne suis pas au courant parce que c'est un mec d'un soir, parce que je m'en fous mais... Bref. Oublie. Ça ne me convient pas comme ça. Moi aussi je croyais qu'on vivait quelque chose d'important. Mais pas comme ça. Alors je veux pas que tu me dises que tu m'aimes. Je veux pas que tu me dises que tu veux que je sois en sécurité. Je veux être toute seule. Et c'est ce que je fais très bien depuis cinq jours. Et c'est ce que je faisais très bien avant de te rencontrer. Écoute, oublie cette lettre.
J'entends à nouveau son souffle qui s'accélère dans mon téléphone. Peut-être qu'il réfléchit, mais mon intuition me dit qu'il se retient plutôt de hurler. En tout cas, il ne dit plus rien pendant une bonne minute. Et moi non plus.
C'est long, dans le silence, une minute. Cette situation est horrible.
— Antoine, je vais raccrocher.
— Au revoir Angèle.C'est lui qui raccroche. Je reste figée sur la méridienne. Je comprends pourquoi mamie l'avait placée près de son téléphone du salon.
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Le Marais des hérétiques
Bí ẩn / Giật gânÀ peine remise de sa précédente aventure, Angèle Kashinsky reçoit une lettre mystérieuse qui va l'amener à poursuivre la piste d'un trésor englouti, mais également son propre passé enfoui dans les méandres de sa mémoire. Cette histoire est la suite...