[20] Le poids de la peau.

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☾ DIMANCHE 05 H 06 / JOUR 86

J'attrape sa main.

- Ne me laisse pas.

Il me répond. Je n'entends pas. Le sommeil n'est plus aussi pesant. Sa voix presque imperceptible et grave me donne pourtant envie de dormir contre lui. Je ne lâche pas sa main. Il s'accroupit et caresse mes cheveux doucement. J'émerge difficilement. Pas de lumière, pas de soleil. Je suis dans sa chambre, j'en reconnais les étagères bordéliques qui pourraient tomber sans cet équilibre incertain sur lequel reposent ses livres. J'ai dormi quelques heures, pourtant j'ai encore sommeil. Ses douces caresses me rendent l'esprit léger. Toutefois, je sens si fortement le poids de mon corps. Je ne me suis jamais senti aussi lourd. Mes mains, ma tête, mes jambes, mon corps entier pèse près d'une tonne. Mes paupières font à elles seules plus d'une cinquantaine de kilos, je ne peux pas les laisser ouvertes plus longtemps. Je ferme les yeux.

Sa main délicate continue de me réchauffer. Son regard doux m'apaisent. Je suis en sécurité. Son souffle discret chatouille ma peau lorsqu'il se dépose faiblement sur moi. Un baiser sur mon front avant de se lever pour aller chercher de l'eau fraîche. Pourquoi je me sens si lourd alors qu'il prend soin de moi comme il ne l'a jamais fait avant ?

Des mains moites qui disséminent des envies obscènes sur mon corps lourd. Des yeux brillants et fous qui me transpercent avec perversité. Une langue qui raffole des saveurs de ma peau frileuse de dégoût. J'ai la nausée. Une forte nausée qui remonte soudainement et qui me fait asseoir précipitamment. Je me penche par-dessus le lit, près du sol, mais rien. Rien d'autre que la douleur d'une nausée, rien d'autre que cette envie de vomir. Cette douloureuse étreinte de l'estomac qui serre chacun de mes organes vides. Les maux de tête reviennent. Rien ne tombe au sol. Je reste penché, je garde encore cette horrible sensation de devoir vomir ce que je ne peux pas vomir. Mes organes s'entortillent un peu plus à chaque seconde qui passe, à chaque nausée qui arrête les pulsations de mon cœur. Même ces souvenirs horribles me restent en travers de la gorge. Et seules quelques larmes de douleur, d'humiliation s'éclatent sur le sol.

Je suis pathétique.

Je suis répugnant. Je suis faible. J'ai honte. Honte de cette faiblesse. Honte de m'être laissé tomber dans ce piège si facile à deviner. Où avais-je la tête ? Qu'ai-je fais pour ne pas voir ce qui était si clair sous mon nez ? Comment ai-je pu le laisser me droguer et me faire ça ? Pourquoi n'ai-je pas réfléchi ? Pourquoi n'ai-je pas fait plus pour me sortir de cette situation ? Je l'ai laissé aller trop loin. J'ai honte de ma faiblesse. Cette humiliation me colle à la peau. Elle coule comme sa sueur qui me ruisselait dessus. Je me sens horriblement sale. Et je ne peux que pleurer. Le poids de mon corps semble vouloir me rappeler ce qu'il s'est passé et je ne peux même pas dégueuler ce que cette vermine m'a fait boire.

Ses pas me font lever la tête. Il avance doucement vers moi, silencieusement. Son visage est indescriptible. Je ne sais pas à quoi il pense. Je ne sais pas ce qu'il ressent en me voyant comme ça. Je n'avais jamais été aussi faible devant quelqu'un. Pas même ma mère. Que peut-il penser de moi en ce moment même ? Me méprise-t-il, lui qui renie la faiblesse ? Me hait-il ? Je dois forcément le dégoûter au moins autant que je me répugne moi-même. Cette envie de vomir ne part pas. Mon corps entier est souillé et il m'a vu être touché par un autre que lui. Que peut-il penser de cela ? Je sens l'alcool. Je sens le sexe. Je suis sur le point de vomir dans sa chambre. Lui, qui semble toujours si beau, comment pourrait-il encore me regarder ? Comment peut-il encore m'approcher ? Je me donne envie de vomir alors comment peut-il rester dans la même pièce que moi ?

Ses pas me font baisser la tête. C'est cette honte qui aplatit mon corps, comme l'autre enfoiré l'a fait sans une once de raison. C'est cette humiliation qui pèse lourd. C'est cette sensation infâme d'être sale qui pèse une tonne sur mon corps. C'est la drogue qui pèse cinquante kilos sur mes faibles paupières. Les sensations infernales m'écrasent. Les souvenirs qui ne s'effacent pas cognent plus fort que mon oncle. La tête qui tourne, la respiration toute aussi lourde que ma peau. Je prends conscience de mon corps comme je ne l'avais jamais fait avant. Je ressens tout. Le sang dégoulinant dans mes veines bouillant de rage, circulant comme de la lave dans un volcan actif. Mes poils se dressent à chaque frisson qui me passe par l'échine. Des tremblements qui les rendent aussi pointus que la cime des plus hauts sapins. Une sueur sur la tempe, une autre dans le dos, donnant cette sensation de rivière gelée qui tente désespérément de faire revenir la raison. Je suis aussi lourd qu'une forêt sombre dans laquelle tout être vivant se perd dans la sauvagerie la plus primitive de la vie : la peur.

SUNFLOWEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant