[28] Alléger ma Peau.

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☁ SAMEDI 12 H 12 / JOUR 113

Il a été étrange pendant toute la soirée de jeudi. A partir du moment où ma mère l'a réveillé jusqu'à ce qu'il parte de manière assez précipitée. Le plat mexicain était moins appétissant que d'habitude. Pendant le repas et même après, il avait la tête ailleurs. Il était pris dans une tempête intérieure et je ne savais pas du tout à quoi il pensait. Une chose était sûre, il n'était pas avec ma mère et moi malgré ses quelques efforts. Nous avons dîné, il a aidé à débarrasser la table pour finalement partir de la maison sans plus de politesse qu'à l'accoutumée. J'ai passé le reste de la soirée à être tiraillé entre l'envie de lui demander ce qu'il s'est passé et la peur de le faire. Finalement, je ne l'ai pas appelé. J'ai fermé les yeux et le reste de ma nuit a été le même enfer que celui que je vis depuis La soirée. Les yeux fermés, la fervente volonté de ne pas laisser l'autre connard contrôler mon corps, la déception d'un échec de plus.

Je n'ai aucune réponse. Personne ne sait comment je peux me remettre de ça. D'une journée à l'autre je vais plus ou moins bien. Un matin sur trois, je parviens à me regarder quelques secondes dans le miroir. Jamais, je n'aurais cru être si faible. Ce type ne me sort pas de la tête. Les rares moments où je parviens à ne pas penser à lui et ce qu'il m'a fait sont ceux que je passe dans les bras de Sunflower. Quelques secondes où je n'écoute que son coeur. Ma musique préférée. Les pires moments sont ceux de solitude. Lorsque je me retrouve seul, je deviens fou. Je n'ai rien oublié de la soirée. Je vis à chaque seconde tout ce qu'il m'a fait. Encore. Encore et encore. J'ai vraiment du mal à le supporter. Plus encore depuis qu'il revient en cours. Les occasions ne manquent pas de le croiser dans les couloirs. Je ne veux pas qu'il régente ma vie mais je ne sais pas comment faire. Je veux me concentrer sur mes cours, sur ma relation avec Sunflower, sur mes liens avec ma mère et la Binocle. Je veux retrouver le sourire mais la présence de ce monstre me file la nausée. Il m'effraie.

Hier, j'ai vu le résultat catastrophique de ces dernières semaines. Cela fait presque un mois que je n'arrive plus à ouvrir un seul manuel scolaire. Mes notes se sont dégradées et mes efforts semblent n'avoir jamais existés. J'ai la terrible impression que je n'arrive à rien depuis plus d'un mois. Il n'y a que ce monstre dans ma tête et malgré la présence de ma mère et celle de la Binocle je n'arrive pas à passer ce cap qui reste désespérément loin de ma portée. Je passe mes journées dans le noir malgré un soleil qui revient petit à petit. Je suis en colère. Une rage profonde me brûle les entrailles et elle ne demande qu'à sortir. J'ai envie d'hurler. J'ai envie de pleurer. J'ai des douleurs dans tout le corps et si un matin sur trois je peux me regarder dans un miroir, alors deux matins sur trois je suis incapable de me lever. C'est inconstant. Je me sais entouré et j'en suis heureux. Je me sens seul et j'en tremble de peur. Je déteste ces émotions lunatiques qui me rendent fou. Un morceau de moi s'est brisé ce soir-là. J'ai la terrible sensation qu'il est à jamais perdu. Je cherche après, je veux retrouver la confiance que j'avais en moi, la confiance que j'avais en l'avenir. Ce n'est plus que de la poussière envolée à des milliers de kilomètres de moi.

Se lever le matin. Ne pas y penser. Manger un croissant. Me laver. Me donner envie de sortir de chez moi. Regarder ma mère dans les yeux. Ne pas y penser. Aller en cours. Sourire à la Binocle. Espérer voir Sunflower en cours. Écouter les profs. Prendre des notes. Ne pas y penser. Voir ce qu'il y a de mieux autour de moi.

Je passe mes journées à foutre chacun de mes faits et geste sur une putain de to do list et de cocher les cases dans ma tête. Juste pour ne pas y penser. Pour ne pas ressentir ce corps que je supporte depuis un mois. Une tonne de peau. Quelques kilos d'un toucher répugnant. Deux kilos de ce souffle infecte qui se heurtait à mon corps. Ce salopard m'a foutu dans la gueule une évidence qu'on oublie tous : nous avons un corps. Au-delà de le nourrir et lui donner le sommeil qu'il lui faut, tous les jours on l'entretient, on en prend soin. Je faisais cela sans faire attention. Comme tout le monde. Et maintenant, mon corps semble être si présent que je le sens tous les jours. Je ressens mon corps. Je le ressens beaucoup trop. Chaque petite parcelle, chaque cellule, tout me semble sensible, lourd, pénible à soigner, pénible à porter. Comme si je n'étais plus qu'un putain de morceau de chaire à peine vivant. Le plus facile est de rester allongé. L'esprit dans le vide, le corps endormi, les yeux mi-clos. Je laisse mon lit me porter deux matins sur trois.

SUNFLOWEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant