☾ MARDI 22 H 36 / JOUR 74
Je pose mon crayon sur mon cahier, m'étirant sur toute ma longueur avant de bailler et de me rendre compte qu'il est déjà tard. La Binocle m'a fait remarquer que mon assiduité était de moins en moins performante. Pas que je ne travaille plus du tout mes cours, bien au contraire, mais la raison à cela est assez évidente. En plus d'avoir quelques soucis avec la chimie, j'en ai avec Sunflower. Lorsque Samedi, je suis rentré chez moi, j'ai eu un doute sur la manière dont nous nous sommes séparés. Etions-nous en bons termes ou pas, quand ce fut le cas ? C'est difficile à dire. Nous ne nous sommes pas disputés, mais c'était plutôt distant, froid, je dirais même. Alors je ne sais pas trop. Au lycée, nous ne parlons pas. Au Bestial Club, hier, lundi fut normal. Il a passé une quarantaine de minutes à essayer de me faire comprendre les théories physiques sur la polarité d'une entité sans que nous n'ayons à parler d'autres choses. Et bien que, lorsque je suis entré chez lui, j'ai vite tourné la tête vers sa chambre dans laquelle cette boîte métallique réside, il ne me laissa pas le temps d'y penser.
Alors, je ne saurais être certain de comment les choses se portent entre nous. Comme il l'a bien précisé samedi, parfois nous avons des bons jours, parfois des mauvais. Seulement, les jours qui ne sont ni bons ni mauvais sont étrangement malaisants. C'est peut-être la raison pour laquelle je ne l'ai pas encore appelé ce soir. Notre Toi + Moi a désormais dix-neuf jours et nous avons déjà nos quelques petites manies habituelles. Partant de gestes anodins qui deviennent rapidement les détails notables que j'apprécie un peu trop. Je leur donne des sens notables, puissants. Je les recense comme s'il s'agissait de merveilles mondiales. Ce sont bien des merveilles, mais elles sont intimes. S'asseoir entre mes jambes lorsque je suis dans son lit et qu'il s'assied au sol. S'allonger sur le Ring, écouter «PAS ensemble», caresser Cadavre. Poser son front contre le mien. Chercher mes doigts froids pour les réchauffer. S'appeler chaque soir. Lui, moi, lui, moi... Ne pas terminer l'appel qui, souvent, prend fin par lui-même le matin, faute de batterie de l'un de nos portables. C'est la raison pour laquelle ce soir, c 'est à mon tour de l'appeler.
Je me lève. Je tombe sur mon lit et j'attrape mon portable posé sur mon chevet. J'espère qu'il ne prendra pas mal le fait qu'il soit tard. Une petite manipulation, qui ne nécessite pas de neurones afin d'accéder à notre discussion avec pour prénom «Toi» en haut de l'écran. Je souris, j'appuie sur l'icône d'appel et la sonnerie retentit. Une, deux, trois. Il décroche. Je sais qu'il décroche toujours au bout de trois sonneries. Et comme chacun des débuts de nos appels, le silence est le premier à parler. Puis il est le suivant, ne prononçant que ce surnom qu'il me donne et qu'il est le seul à me donner.
(Sunflower) Corbeau.
Doux son qu'est sa voix à mes oreilles. Peu importe comment c'était samedi, lorsque je suis parti, chaque soir c'est un appel et chaque soir c'est le léger murmure de mon surnom qui retentit dans mes oreilles comme s'il était près de moi. Je souffle son surnom à mon tour. Il laisse quelques secondes s'écouler, j'entends les griffes de Cadavre qui cognent disgracieusement contre le parquet dans sa chambre, j'imagine le cabot monter dans son lit et s'installer contre lui.
(Sunflower) Pourquoi tu souris ?
- Je ne souris pas. C'est faux, je souris. C'est lui qui me fait sourire. La raison m'est évidente, qui ne sourit pas en entendant la voix de la personne aimée ? Pourrait-il comprendre cela ? Le voudrait-il ?
(Sunflower) Tu souris. Je t'entends, Corbeau. C'est dans ta voix.
Comment le sourire pourrait être dans ma voix ?
- T'es bizarre.
Et une fois de plus, il nie en bloque. «Je ne le suis pas», dit-il. Le silence fait le reste de la conversation. Bien souvent, je me demande ce qu'il fait puisqu'il paraît très silencieux. De mon côté, je bosse, je lis, j'écoute «PAS ensemble» que je partage avec lui. L'appel n'a pas vraiment pour but de se parler, simplement d'avoir l'impression d'être là, l'un avec l'autre. Et cela a bien plus d'importance pour lui que pour moi. Après tout, lorsque je me sens seul, je peux sortir de ma chambre, rejoindre ma mère dans le canapé et me coller à elle, regardant tous les deux un bon vieux film. Sunflower est seul au Bestial Club. Cadavre est là, cependant, paradoxalement, s'accrocher à la présence de ce chien démontre bien l'absence des autres autour de lui. Celle de sa mère, celle d'une famille dont il n'a jamais évoqué l'existence. Avoir Cadavre prouve qu'il n'a personne d'autre. Et la tristesse qui découle de cette constatation fait imploser mon coeur. Je ne veux pas qu'il ressente plus de solitude.
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SUNFLOWER
FanficQuel sentiment étrange. Croiser le regard de l'inconnu qui change tout. Il plante son regard dans le mien comme une graine dans le sol. Une petite tige croît. Les battements de mon coeur s'affolent. Le sentiment étrange se métamorphose et s'enracine...