SUNFLOWER

[6] Ecouter «PAS ensemble».

☀ LUNDI 11 H 59 / JOUR 28

Après avoir passé une heure avec lui sur les marches devant le petit local, il s'est finalement levé sans dire un mot et il est parti. Pas un regard vers moi, aucunes attentions de sa part. Pourquoi y en aurait-il eu ? Je suis retourné en cours sans donner de réelles explications à la professeure. Elle s'est contentée de très peu dès lors où je lui ai décrit que la personne avec moi était Sunflower. J'en suis parvenu à la conclusion que l'écureuil blond lui a raconté ce qu'il s'est passé. Toutefois, je suis presque certain en affirmant que ce n'est pas suffisant. La prof sait quelque chose. C'est l'impression qu'elle me donne. Est-ce que dès lors où il s'agit de Sunflower les choses se compliquent irréversiblement ? Suis-je simplement paranoïaque ? Mais pourquoi une prof de sport se contenterait de si peu pour une absence presque injustifiée et un retard d'une heure tout aussi injustifié ?

Fin du cours. J'aperçois l'écureuil me regarder du coin de l'œil. Il a peur de moi mais il veut me dire quelque chose. Ce rongeur curieux et peureux rassemble le peu de courage qu'il possède et fait un pas dans ma direction. Décision trop tardive, la professeure le devance et fait de même sans avoir à déglutir de peur pour m'adresser la parole. Quel est son nom ? Madame... Bretz- je ne m'en souviens pas. Rien d'étonnant. Quoi qu'il en soit, cette femme n'attend pas que l'écureuil blond apparaisse devant moi d'une soudaine manière aussi magique puisse-t-elle être pour venir me parler à sa place. Je m'y attendais. Le blondinet nous passe à côté, plutôt contrarié. Son regard me fait supposer qu'il ne lâchera pas l'affaire, ce qui me fait réfléchir une nouvelle fois sur sa relation avec Sunflower qui me paraît fort étrange. D'un côté le brun aux yeux tournesols ne semble pas se préoccuper de lui, de l'autre, l'écureuil est prêt à combattre ses petites peurs pour l'aider. Pourquoi cet engouement ? Que se passe-t-il que je ne sais pas ? Est-ce en lien avec Satan et la Binocle ? Il existe beaucoup trop de secrets qui tourbillonnent  autour de Sunflower. Qui est ce type, bon sang ?

Je reporte mon attention sur la femme d'âge mur face à moi. Les cheveux décolorés, les yeux clairs, des lunettes lui donnant une apparence sévère et sérieuse, un petit minois qui n'est pas si repoussant caché derrière quelques cernes qui se violacent. Cette femme est sans doute insomniaque, j'en connais les effets, les symptômes, et les cacher, ce n'est pas toujours évident. Elle me demande de la suivre et de prendre l'autre bout d'un des derniers filets de badminton que l'on doit ranger. Ce que je fais. Sans dire un mot pour le moment, elle se contente d'enrouler les fils sur eux-mêmes et de me demander de la suivre jusque dans la salle où se trouve tous les équipements de sport. Je range le filet à sa place et me retourne la voyant plus que attentive à ce que je fais. Je n'aime pas cela. Elle m'observe, cherche à savoir quelque chose que je ne sais certainement pas sans avoir à me parler. Cette femme est sans doute beaucoup plus maligne qu'on ne pourrait le croire. Et tous les élèves qui se moquent d'elle devraient le savoir pour leur propre dignité. Je ne doute pas qu'elle puisse connaître une vengeance de mauvais goût pour qu'ils cessent de se foutre d'elle comme ils le font si librement.

Cependant, en sortant de cet endroit, j'aperçois son regard bleu à travers ses lunettes. Il reste froid mais avec une lueur de je-ne-sais-quoi. Un quelque chose qui les fait scintiller quand habituellement ce n'est pas le cas.

(Madame B) Comment va Yeager ?

Yeager. Je n'y crois pas. C'est son nom ? Cela ne sonne pas très français et me donne une petite idée du pourquoi de son accent lorsqu'il prononce mon prénom. Je souffle mécontent. Je ne voulais pas connaître quoi que ce soit de lui qui ne vienne pas de lui. Son nom, son prénom, ce qu'il aime, ce qu'il n'aime pas, pourquoi ce comportement. Je ne voulais rien savoir qui viennent des autres. Surtout pas s'il s'agit de son identité. Je n'en perds que davantage l'envie de la laisser me poser des questions, surtout s'il s'agit de lui. Je ne ressens que de l'agacement dû au simple fait qu'elle m'a révélé ce qu'il aurait dû me dévoiler par lui-même. Et pour répondre à sa question je hausse les épaules. Qu'en sais-je après tout ? Pourquoi plus qu'un autre je saurais lui dire comment va ce type énervant ? L'écureuil blond serait plus apte à lui parler de lui, alors pourquoi moi, le nouveau ?