[2] Sur le Ring.

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☾ VENDREDI, 01 H 56 / JOUR 26

Une écriture fluide, liée et italique. Des vagues rouges sur un cahier plus ou moins lisibles à certains endroit. Une flèche par ci par là, un cercle à droite, un rectangle à gauche. Des chiffres, des remarques, des mots, des notes rouges. Des mots plus petits que les autres, certains alignés en parallèles avec les les lignes de la feuille de mon cahier, d'autres qui ne le sont pas. Une écriture rapide, gauche, maladroite, masculine. Mon cahier prend une autre dimension, je le regarde de loin, de près, à l'envers, sans intérêt, avec trop d'attention. Je me souviens de cette façon énigmatique qu'il a de serrer son crayon entre ses doigts. Le pouce qui tenait avec force l'objet en question, si près de la mine qu'il avait de l'encre rouge sur l'index. Une écriture fine et anglaise qui ne semble pas avoir de sens. Une écriture vague, espacée et peu élégante pourtant chaleureuse. Elle a quelque chose de directe. Une certaine férocité dans son crayon maintenu fermement lui donne cette étrange sensation d'authenticité.

J'ai le sentiment que son écriture reflète qui il pourrait être. Une personne plus douce qu'on ne pourrait se l'imaginer. Ceci n'est fondé que sur un simple aperçu du rouge sur mon cahier, mais c'est ce que je pense. Il semble quelqu'un de compliqué. Une sorte de mystère épais l'entoure comme s'il était l'oeil d'une tornade et qu'il fallait passer le vent véhément pour aller au-delà du mystère. Une tâche fastidieuse qui retire la vie à de nombreuses personnes qui ont essayé sans la détermination nécessaire à cela et se sont fait arracher leurs sentiments sans qu'il ne ressente la moindre compassion pour ces personnes qui ont essayé. Si je veux essayer ? Non. Non, je ne suis pas suicidaire. Je ne veux pas crever à cause d'un petit con que je ne connais pas.

Cependant, je dois avouer que je ne m'attendais pas à ça. Cela aurait dû s'arrêter là. Je pensais pouvoir être satisfait en voyant simplement son visage, en observant ses yeux directement. Je pensais que cela me permettrait de me concentrer de nouveau sur ma scolarité et ce qui est le plus important pour moi en ce moment. Tenir en main ma concentration comme je l'ai toujours si bien fait, seulement, c'est hors de contrôle. Je n'y parviens pas. Depuis le cours d'hier soir, il est encore plus là, encore plus dans ma tête, encore plus présent sur mon cahier, dans mes yeux, dans mon esprit. Ses tournesols reflètent dans chaque fenêtre que je croise et j'entends sa voix qui résonne dans mes écouteurs, comme une musique sans fin. Mon prénom qu'il articule avec cet accent étrange que je ne connaissais pas me semble de plus en plus sensuel et je maudis mes souvenirs d'embellir ce type qui n'a rien d'élégant. Il est insolent, blessant, froid. Il n'a rien pour lui si ce n'est un joli minois. Et les jolis minois ne règnent pas sur le monde.

Je pose mes bras sur mon bureau, sur mon cahier ouvert à la date de ce cours. Je pose mon visage sur ces-derniers et je souffle fortement. Quelle ordure ce mec. C'est quoi son problème à s'infiltrer dans mes pensées de cette manière ? N'a-t-il aucuns sens de l'intimité ? Amusant. Très amusant, Ackerman. Je souffle en sachant bien qu'il n'y est pour rien. Ce cours dans ce parc était imprévu mais il aurait dû m'empêcher de continuer à me poser plus de question sur lui. En définitive, je me retrouve avec des questions qui étaient déjà là et des nouvelles qui s'y ajoutent et toujours aucunes réponses sans même posséder l'imagination assez vaste pour avoir quelques idées sur le sujet. Et puis, son chien qui s'appelle Cadavre. On n'a pas idée de nommer son clébard Cadavre. Je connais le prénom de ce sac à puces mais pas le sien. Eh bien non ! Je n'ai pas réussi les exercices de chimie. Je me suis trompé à l'un d'eux. Une erreur. Juste une foutue erreur. Il ne l'a pas manqué. Il m'a charrié et s'est moqué de moi pendant le reste du cours.

Et malgré cela, il n'a pas souri. Pas même pour se moquer de moi. Pas lorsque Cadavre est tombé en croyant pouvoir attraper le chat dans l'arbre. A aucun moment, il n'a souri. Ses yeux dénués de phénix, ne voyaient que son chien et les exercices de maths et de chimie sur la table qui nous séparait. Tout le reste du temps, il semblait las. Il semblait méfiant. Il semblait terriblement seul aussi. Un quelque chose dans ses yeux semblait envoyer un S.O.S inconscient. Il ne disait rien, il ne parlait que lorsque c'était nécessaire. Le reste se passait dans sa tête. J'ai vu les tournesols jaunes de ses yeux qui fanaient devant moi. C'était comme si rien ni personne ne pouvait l'atteindre dans le sens où il se fichait de tout, comme quelqu'un qui n'a plus rien à perdre si ce n'est sa propre vie. Des yeux qui ne sont pas rares dans ma ville d'origine, mais ils sont les premiers que je vois ici à Stohess. 

SUNFLOWEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant