[8] Hanahaki.

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☾ MARDI 00 H 13 / JOUR 45

En soit, il n'a pas tort. Je joue au con vis à vis de ma mère. Et cette franchise qu'il possède me transperce comme la vérité transperce un cœur. J'ai le regret de ne pas l'avoir prise contre moi tout à l'heure. Par colère, je n'en ai rien fait mais qu'est-ce que ma colère par rapport à ce qu'elle vit en ce moment ? L'inquiétude que je lui fais ressentir. Je me sais coupable de cela. Pour autant, je ne veux pas rentrer. Parce que je suis là, avec lui. Je veux l'être aussi longtemps qu'il acceptera ma présence. Et quel égoïsme que de penser : «peu importe ce qu'elle ressent». Mais je suis bien là, avec lui et non avec elle. Il m'a demandé de rester, elle m'a demandé de ne pas m'occuper de ses affaires. J'ai l'imposante sensation d'être plus utile ici, dans ce cimetière, que chez moi à regarder ma mère sourire alors que je sais qu'elle me cache la vérité et qu'elle ne veut pas de mon aide.

Il caresse son chien, assis entre ses jambes et il continue de regarder la tombe d'en face. Sa question précédente pourrait porter à confusion. Et lui ? A-t-il une famille ? Ou peut-être sait-il ce que tout le monde ne sait pas forcément. Avoir une famille n'est pas automatique. Certains n'en ont pas. Les amis et la famille, il s'agit de quelque chose de relativement normal de nos jours, alors nombreux sont ceux qui pensent ces choses acquises de tous. C'est faux.

- Et toi ? T'as une famille ?

Il hausse les épaules, une fois de plus. Un geste qu'il fait mille fois, nonchalamment.

(Sunflower) J'en ai une.

- Très convaincant. ironisais-je.

Il se tourne vers moi, me regarde dans les yeux et accroche un air sévère sur son visage.

(Sunflower) J'ai une famille, Corbeau.

Et je ne suis toujours pas persuadé. En tout cas pas totalement. Il en a une, toutefois, il y a un «mais» qu'il élude de sa réponse. Il pose son regard sur Cadavre et je comprends alors ce qu'il voulait dire par «J'ai une famille». Il ne parlait pas de parents ou de frangins. Il parlait de ce chien. Peut-être même de la Binocle. Ainsi, je me demande une nouvelle fois comment il perçoit cette fille. Si elle me dit qu'il n'y a rien de romantique entre eux, je suis certain qu'elle ne ment pas. Mais qu'en est-il pour lui ?

(Sunflower) Tu devrais rentrer chez toi et parler avec ta mère.

- Pourquoi crois-tu que j'ai besoin de parler avec elle ?

(Sunflower) Tu m'prends pour un idiot ?

Il ne l'est clairement pas. Il détourne le regard et fixe ce vide en face de lui. Un mélange glacial et douloureux apparaît dans ses orbes tournesols. Une goutte d'amertume, une autre de tristesse, un peu de regret, c'est un cocktail explosif. Le cœur est en miette.

- Je ne sais pas si j'ai réellement envie de la confronter.

Pourquoi est-ce que je lui dis cela ? Pourquoi est-ce que je me confie à lui ? Il va m'envoyer sur les roses comme il le fait si bien. Je vais regretter mes mots, un regret de plus pour cette soirée.

(Sunflower) 'Faut pardonner rapidement, Corbeau.

Il se lève sans dire un mot de plus. Partant sans se retourner vers moi, finissant sur cette triste note. Il siffle et Cadavre le rejoint. Je reste assis quelques instants sur la tombe de Sophie Tanner. Il disparaît entre chaque lampadaire jusqu'à ce que sa silhouette n'apparaisse plus. Il aura eu ce qu'il voulait : il a disparu. Je lève les yeux. Je pense aux nuages. Je ferme les yeux. J'essaie de disparaître. Ce n'est pas aussi simple. Je ne suis pas vapeur, seulement humain. Alors je me lève à mon tour, et pars dans la même direction que lui, cherchant la sortie. Après une bonne dizaine de minutes passé sur les petites chaussées boueuses de cet endroit lugubre, je retrouve une ombre familière. Cette grande grille blanche par laquelle je suis passé, bien plus tôt dans la soirée, pour entrer ici. Soulagé, je la franchis, la referme et m'en vais sans un regard derrière moi, comme il l'a fait.

SUNFLOWEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant